Armand Robin (1912-1961) - Le temps qu’il fait 1942 - L’Imaginaire Gallimard
Lueurs
de paille 1936
La vie survit - Chevaux oiseaux - Les témoins parallèles- Un homme - Seul avec de grands gestes 1941
L’hiver se prolonge dans un gris épais et fangeux, emprisonnant la volonté des hommes s’en allant malgré tout vers leur labeur. L’un manie la hache, l'autre lie les fagots et un premier chant breton résonne dans le vent alors que la méfiance envers les livres a été proclamée. Qui est l’esclave, qui est le maître ? Qui est Yann, celui qui reçoit sans précautions la nouvelle de la mort de sa mère ?
La mort d'une femme, épouse et mère, voilà par quoi commence ce texte étrange, à la fois épopée rurale et long chant poétique nous racontant comment Yann et son père vont survivre. Pour l'instant affleurent la légende des ancêtres et les souvenirs du malheur quotidien et des lumières furtives : il faut s’occuper de la morte.
Attention, ce récit n’est pas un ouvrage régionaliste misérabiliste, c'est un voyage : une randonnée langagière dans le vent violent transportant les embruns tragiques d’un pays et d’une époque qui ont fait quelque chose aux mots, d’un temps où les fils s’opposent aux pères, de même que les envies de lire et de découvrir le monde s’opposent à la servitude du travail vital de la terre et que l'intense cri du poète s’oppose à l'éternité du grand silence.
Ce récit au lyrisme tourmenté peut devenir chant ancien ou échange théâtralisé, narration violente ou douce mélodie, comme si les variations de formes enveloppaient analogiquement les turbulences de l'existence prométhéenne de ces esclaves de la terre et de la mer et les tourments intérieurs de ces lignées bretonnes. Comment s’engager dans un mouvement qui fera lever les yeux de la terre vers les étoiles ? Quel langage l'écrivain polyglotte va-t-il mettre en œuvre pour chanter la révolte qui frémit derrière l'apparente immobilité de la soumission.
Car c'est bien du langage que sourdra la lumière. La libération viendra des livres, c’est en nommant le destin que les mots parviendront au ciel qui meut les étoiles, que les paroles réussiront à réunir à nouveau le fils et le père.
Le poète ne renonce pas : il creuse les mots comme le paysan creuse sa terre. Il aurait pu, comme Joyce qu’il connaît bien, écrire en plusieurs langues. Il préfère forer son propre langage, inventer les formes de sa propre révolte au risque d’y diluer son identité - comme il le fera dans ses poèmes et traductions - afin de proclamer, au gré des vents, "la litanie morne des tyrannies".
Diverses voix sont portées par le vent, à moins que ce ne soient embruns dans la tête : la mère parle mais aussi les fous, le temps, les herbes, Taliesin et le Christ... Même Rimbaud et Homère, les fées et les lavandières sont de la partie dans cette tempête sous un crâne animée par tous les livres de la bibliothèque.
Lorsque Treithir maître des mots prend la parole, la langue du poète se fait encore plus inventive et laisse aux oiseaux le soin de chanter l'avènement de l'aube et du printemps : la réconciliation, la reconnaissance suivront après les regrets et le pardon, jusqu'à la parole du père : "Je ne voulais pas faire de bruit" ; après que se soit déployée la volonté d’émancipation d'un homme par l'usage des livres.
On a lu aussi :
Armand Robin – La fausse parole – Éditions Le temps qu’il fait – Introduction, postface et notes de Françoise Morvan
Un livre étonnant sur l’activité d’auditeur polyglotte de Robin, analyste des radios européennes, dont beaucoup de propos concernant la propagande trouvent des résonances actuelles.
Françoise Morvan – Armand Robin ou le mythe du poète – Garnier Flammarion Classiques jaunes Essais 2022
Ce livre est une somme sur Armand Robin, se lecture permet de remettre en perspectives l’œuvre et la vie de cette auteur étrange, mais aussi de faire un sort à toute une mythologie éditoriale qui a troublé et continue de troubler sa lecture de nos jours.
On consultera avec profit le site internet de Françoise Morvan : https://francoisemorvan.com/