L'Événement.
on le sait, est un avortement vécu par Annie Ernaux en 1963. Comme à
son habitude, Ernaux inclut dans son texte son projet d'écriture : elle
propose la forme du récit, souhaitant "descendre dans chaque image"
jusqu'à ce qu'elle ait la sensation physique de la rejoindre afin de
pouvoir dire "c'est ça", pour affronter cet événement inoubliable.
La décision prise modifie le temps et le langage et la grossesse non
désirée est mise en lien avec la thématique sociale : "J'établissais
confusément un lien entre ma classe sociale d'origine et ce qui
m'arrivait."
On comprend encore mieux le propos lorsque l'auteure écrit : "D'avoir
vécu une chose, qu'elle qu'elle soit, donne le droit imprescriptible de
l'écrire. Il n'y a pas de vérité inférieure. Et si je ne vais pas au
bout de la relation de cette expérience, je contribue à obscurcir la
réalité des femmes et je me range du côté de la domination masculine du
monde." On sent bien que Annie Ernaux retarde le moment d'écrire les
paragraphes terribles qui décrivent l'avortement. L'évènement narré
ainsi arrive en miroir de celui raconté au début du livre, l'attente
d'un diagnostic concernant la séropositivité.
L'auteure réussit à écrire la violence du monde à travers la relation
des mots prononcés, des comportements, du langage utilisé à son égard,
et le plus terrible est là : elle montre comment la liberté des femmes à
user de leur corps est brimée par la domination masculine mais aussi
par les inégalités sociales, par les vexations et la peur, et la
nécessité à l'époque de transgresser la loi. À la fin de son récit, elle
indique : "J'ai fini de mettre en mots ce qui m'apparaît comme une
expérience humaine totale, de la vie et de la mort, du temps, de la
morale et de l'interdit, de la loi, une expérience vécue d'un bout à
l'autre au travers du corps." Elle l'a fait sans pathos ni didactisme,
avec son style bien à elle, précis et concis, relatant les faits. Très
fort.
Ernaux, Annie - L'évènement 2000 - Folio Gallimard
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