Dans ce livre plus épais que les précédents (376 pages en Folio), Annie Ernaux évoque à nouveau la passion amoureuse déjà abordée dans "Passion simple". Elle indique que l'écriture de son journal "était une façon de supporter l'attente du prochain rendez-vous, de redoubler la jouissance des rencontres" et qu'elle s'est aperçue "qu'il y avait dans ces pages une vérité autre que celle contenue dans Passion simple". Le projet d'écriture ainsi défini, on sait qu'on va lire un récit placé sous le signe du don, dans lequel l'amant est "un principe, merveilleux et terrifiant, de désir, de mort et d'écriture." Il faut bien entendre ces mots, Annie Ernaux nous faisant entrer dans ce texte dans une effroyable danse de désir et de "terreur sans nom", d'amour et de mort, d'attente et de satisfaction. On pense à la notion de dépense telle que développée par Georges Bataille : entre désir et néantisation de l'autre, entre intensité absolue et violence, les frontières s'effacent entre éros et thanatos sans avoir peur du stéréotype. Et on comprend que chez Annie Ernaux, l'écriture et la passion amoureuse sont indissociables, que l'une ne va pas sans l'autre, que ce qu'on est en train de lire n'est pas le simple récit d'un amour, mais qu'il en est une partie insécable, témoin entre plénitude et aliénation. Une autre référence permet de bien comprendre l'importance du langage, de l'écriture dans ce vécu passionnel et irrationnel, référence apparaissant sous formes d'allusions dans le texte même d'Ernaux, celle de Marcel Proust, référence déjà apparue discrètement dans les ouvrages précédents mais semblant s'affirmer de manière plus fréquente ici.
Ernaux, Annie - Se perdre 2001 - Folio Gallimard
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