mercredi 17 janvier 2024

L'homme de Mytholmroyd

Le renard-esprit sous la coupe inclinée de la lune nous emmène dans la liberté sauvage du zoo des mots. Ted Hugues est ce monstre fatal timide comme une souris qui allume le feu vital, l'électricité essentielle de la poésie. Il sait comment faire vivre le vent et l'aube d'automne dans ses poèmes, il est un chantre de la nature. Mais pas seulement. Il sait dire l'accident, la guerre, le martyre et écrire l'amour, il est le jaguar des lettres, les crocs plantés dans l'univers, il sait l'histoire et les mythes de Mytholmroyd. Il écrit que "Crow n'a pas fini de rire". Le lecteur, lui, est ébloui par ce volume magnifique, contenant l'essentiel de la production poétique de Hugues, à compléter avec les "Birthday letters".
 
 
 ---------------------------------- PIBROCK 
 
La mer hurle de sa voix insensée, 
Elle n'agit pas différemment envers ses vivants et ses morts, 
Lasse sans doute de cette apparence de ciel 
Après tant de millions de nuits sans sommeil, 
Sans but, sans illusions, 
 
Ainsi la pierre. Un galet est prisonnier 
Comme rien dans l'Univers. 
Créé pour quel obscur sommeil. Ou conscient 
Quelquefois de l'éclaboussure rouge du soleil, 
Il rêve qu'il est le fœtus de Dieu. 
Sur la pierre soudain se rue le vent 
Capable de se mêler au néant, 
Comme l'ouïe de la pierre aveugle elle-même. 
Ou bien il tourne et alors c'est comme si la pierre se rappelait 
Une fantaisie d'orientations. 
 
À boire la mer à manger le roc 
Un arbre lutte pour pousser ses feuilles - 
Vieille femme tombée de l'espace 
Et prise au dépourvu par sa nouvelle condition. 
Elle tient bon, sa raison l'a complètement abandonnée. 
 
De minute en minute, d'éternité en éternité 
Rien ne décroît, rien ne s'épanouit. 
Et il ne s'agit ni d'un mauvais film ni d'un bout d'essai. 
C'est là où les anges hébétés traversent. 
C'est là où toutes les étoiles sans exception s'inclinent. 
 
Ted Hugues Traduction Jacques Darras 
 
 
 ----------------------------------- LE RENARD-ESPRIT 
 
 J'imagine la forêt de ce moment de minuit : 
Quelque chose est là, qui respire 
Tout près de la solitude de l'horloge 
Et de cette page blanche où mes doigts courent 
 
Pas une étoile à la fenêtre : 
Quelque chose de plus proche 
Quelque chose de plus enfoui dans les ténèbres 
Vient pénétrer cette solitude : 
 
Aussi froid, aussi délicat que la neige obscure, 
Le museau d'un renard frôle la branche, la feuille ; 
Deux yeux servent un mouvement, lequel ici 
Et maintenant là, puis là, puis là 
 
Imprime ses traces nettes sur la neige 
Entre les arbres, et une ombre suit 
Prudemment le long des souches 
Ce corps qui a l'audace d'aller 
 
Au hasard des clairières, dont l'œil 
D'un vert agrandi, approfondi, 
Occupé de ce qui le regarde, 
Brille, se concentre 
Puis, dans une soudaine puanteur puissante de renard 
S'introduit dans la cavité obscure de la tête. 
La fenêtre demeure sans étoiles; l'horloge fait tic-tac, 
La page est écrite. 
 
Ted Hugues Traduction Valérie Rouzeau
 
Hugues, Ted - Poèmes - nrf Gallimard 1957-1994 - nrf Gallimard 2009
 
 

 

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