mercredi 17 janvier 2024

Penser pour mieux vivre

Quand Marcuse fait une description critique, en 1964, de la société occidentale, on s'aperçoit à la relecture qu'il est encore pertinent aujourd'hui, sur de nombreux points :  
 
 "Ses caractères principaux (ceux de la société occidentale) sont bien connus : les intérêts du grand capital concentrent l'économie nationale, le gouvernement joue le rôle de stimulant, de soutien et quelquefois de force de contrôle ; cette économie s'imbrique dans un système mondial d'alliances militaires, d'accords monétaires, d'assistance technique et de plans de développement ; les «cols bleus » s'assimilent aux « cols blancs », les syndicalistes s'assimilent aux dirigeants des usines ; les loisirs et les aspirations des diverses classes deviennent uniformes ; il existe une harmonie préétablie entre les recherches scientifiques et les objectifs nationaux ; enfin la maison est envahie par l'opinion publique, et la chambre à coucher est ouverte aux communications de masse." (p. 45) 
 
Montrant la "cohérence interne" du capitalisme mondialisé, différant sans cesse le changement social, il observe déjà comment l'opinion publique et les communications de masse participent à ce maintien de la domination par les plus puissants dans une société où "la haine et la frustration sont privées de cible et le voile technologique dissimule l'inégalité et l'esclavage". (p. 57) 
 
 Il est donc probable que de nos jours, il montrerait que les réseaux sociaux et les influenceurs (ceux qui font concurrence aux publicitaires), ainsi que tous ceux qui se croient libres dans cet univers de l'opinion, participent et font le jeu du système dominant, en reproduisant les dominations, les inégalités et les modes de pensée qu'il développe. Mais ils ne le savent pas, ayant depuis longtemps renoncé à pratiquer l'argumentation et la dialectique, c'est-à-dire à penser : ils sont devenus des êtres unidimensionnels. 
 
Pour exemple, le chapitre 4 peut être considéré comme une description anticipée et judicieuse des discours de nos populistes contemporains qui cultivent la confusion du vrai et du faux. Plus loin, on trouve des outils conceptuels qui peuvent servir à décrire avant l'heure ce que l'on appelle maintenant le "buzz" sur les réseaux sociaux. Marcuse : un classique de la critique sociale à relire d'urgence. 
Même s'il est impossible de soutenir qu'il est totalement d'actualité, il va plus loin que les simples anticipations relevées ci-dessus (il fait la critique de la linguistique d'Austin et de Wittgenstein), et relire ses analyses est un retour aux sources utile et revigorant pour comprendre notre monde actuel, et le critiquer de manière argumentée. À noter, c'est important, que la traduction est de Monique Wittig. 
 
"...régner sur un peuple de machines asservissant le monde entier, c'est encore régner, et tout règne suppose l'acceptation des schèmes d'asservissement."  G. Simondon, 1958
 
"C'est seulement par l'intermédiaire de la technologie que l'homme et la nature deviennent des objets d'organisation interchangeables. Les intérêts particuliers qui organisent l'appareil auxquels ils sont soumis, se dissimulent derrière une productivité et une efficacité universelles. En d'autres mots, la technologie est devenue le grand véhicule de la réification - une réification qui est arrivée à la forme la plus achevée et la plus efficace."  Marcuse, p. 192
 
Herbert Marcuse. L'homme unidimensionnel. Éditions de Minuit. 1968
 



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