Quand
Marcuse fait une description critique, en 1964, de la société
occidentale, on s'aperçoit à la relecture qu'il est encore pertinent
aujourd'hui, sur de nombreux points :
"Ses caractères principaux (ceux de la société occidentale) sont bien
connus : les intérêts du grand capital concentrent l'économie nationale,
le gouvernement joue le rôle de stimulant, de soutien et quelquefois de
force de contrôle ; cette économie s'imbrique dans un système mondial
d'alliances militaires, d'accords monétaires, d'assistance technique et
de plans de développement ; les «cols bleus » s'assimilent aux « cols
blancs », les syndicalistes s'assimilent aux dirigeants des usines ; les
loisirs et les aspirations des diverses classes deviennent uniformes ;
il existe une harmonie préétablie entre les recherches scientifiques et
les objectifs nationaux ; enfin la maison est envahie par l'opinion
publique, et la chambre à coucher est ouverte aux communications de
masse." (p. 45)
Montrant la "cohérence interne" du capitalisme mondialisé, différant
sans cesse le changement social, il observe déjà comment l'opinion
publique et les communications de masse participent à ce maintien de la
domination par les plus puissants dans une société où "la haine et la
frustration sont privées de cible et le voile technologique dissimule
l'inégalité et l'esclavage". (p. 57)
Il est donc probable que de nos jours, il montrerait que les réseaux
sociaux et les influenceurs (ceux qui font concurrence aux
publicitaires), ainsi que tous ceux qui se croient libres dans cet
univers de l'opinion, participent et font le jeu du système dominant, en
reproduisant les dominations, les inégalités et les modes de pensée
qu'il développe.
Mais ils ne le savent pas, ayant depuis longtemps renoncé à pratiquer
l'argumentation et la dialectique, c'est-à-dire à penser : ils sont
devenus des êtres unidimensionnels.
Pour exemple, le chapitre 4 peut être considéré comme une description
anticipée et judicieuse des discours de nos populistes contemporains qui
cultivent la confusion du vrai et du faux. Plus loin, on trouve des
outils conceptuels qui peuvent servir à décrire avant l'heure ce que
l'on appelle maintenant le "buzz" sur les réseaux sociaux.
Marcuse : un classique de la critique sociale à relire d'urgence.
Même
s'il est impossible de soutenir qu'il est totalement d'actualité, il va
plus loin que les simples anticipations relevées ci-dessus (il fait la
critique de la linguistique d'Austin et de Wittgenstein), et relire ses
analyses est un retour aux sources utile et revigorant pour comprendre
notre monde actuel, et le critiquer de manière argumentée.
À noter, c'est important, que la traduction est de Monique Wittig.
"...régner sur un peuple de machines asservissant le monde entier, c'est
encore régner, et tout règne suppose l'acceptation des schèmes
d'asservissement."
G. Simondon, 1958
"C'est seulement par l'intermédiaire de la technologie que l'homme et la
nature deviennent des objets d'organisation interchangeables. Les
intérêts particuliers qui organisent l'appareil auxquels ils sont
soumis, se dissimulent derrière une productivité et une efficacité
universelles. En d'autres mots, la technologie est devenue le grand
véhicule de la réification - une réification qui est arrivée à la forme
la plus achevée et la plus efficace."
Marcuse, p. 192
Herbert Marcuse. L'homme unidimensionnel. Éditions de Minuit. 1968
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