mardi 27 février 2024

Woolf 1928 : eaux héraclitéennes

Cet ouvrage, surprenant lorsqu'on lit ou relit les livres de Woolf dans l'ordre chronologique, présenté comme une biographie, semble prendre l'allure d'un roman historique au début mais la présence de portraits féroces et la tournure fantastique et loufoque de la description du Grand Gel ou de la débâcle de la Tamise en font tout autre chose.
 
Sixième roman de Woolf après Mrs Dalloway et La promenade au phare, ce livre est surprenant dans sa forme - en apparence celle du roman historique, on l'a dit - un récit qui prend vite l'allure du fantastique poétique par moments.
 
On ne s'étonnera donc pas que Orlando soit présenté d'abord comme un jeune homme déluré de seize ans en 1550 pour devenir ensuite une femme évoluant dans le roman jusqu'au début du XXème siècle : on s'en étonne moins lorsqu'on connaît la biographie et les livres de son modèle dans la réalité, Vita Sackville-West (1892-1962), avec laquelle Woolf a entretenu une liaison et une belle correspondance...

On est donc à nouveau comblé par la maîtrise dont fait preuve Woolf, tant dans la menée du récit que dans le style de l'écriture, pour nous présenter un jeune homme confronté aux délices et désillusions de l'amour ; qui se réveille d'un sommeil dont la description pourrait bien être une analogie avec les périodes de dépression vécues par l'autrice ; qui effectue une tentative pour devenir écrivain, aventure dont la description ne manque pas d'ironie et devient un châtelain matérialiste, une sorte de "Des Esseintes" allégé ; qui fait dire à l'un de ses personnages que le participe présent est le diable incarné ; et ainsi de suite pour découvrir à Constantinople que la Vérité est de devenir une femme.

La Vérité est ici celle d'une langue inventive qui comprime le temps, brouille les identités et rend fantastique la réalité, dans des variations narratives magistrales et étonnantes, renouvelant  l'expression de thèmes déjà rencontrés dans les romans précédents : l'identité, l'opposition entre moi social et intime, la féminité et la domination masculine, l'écriture réflexive sur elle-même, etc.


"Le siècle était celui d'Élisabeth ; leur moralité n'était pas la nôtre ; pas plus que leurs poètes ; pas plus que leur climat ; pas plus même que leurs légumes. Tout était différent." p. 44


"Nous devons modeler nos mots au point qu'ils constituent le tégument le plus fin de nos pensées." p. 182
 
Woolf Orlando

 

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