Cet ouvrage, surprenant lorsqu'on lit ou relit les
livres de Woolf dans l'ordre chronologique, présenté comme une
biographie, semble prendre l'allure d'un roman historique au début mais
la présence de portraits féroces et la tournure fantastique et loufoque de la description du Grand Gel ou de la débâcle de la Tamise en font tout autre chose.
Sixième roman de Woolf après Mrs Dalloway et La
promenade au phare, ce livre est surprenant dans sa forme - en apparence
celle du roman historique, on l'a dit - un récit qui prend vite
l'allure du fantastique poétique par moments.
On ne s'étonnera donc pas que Orlando soit présenté
d'abord comme un jeune homme déluré de seize ans en 1550 pour devenir
ensuite une femme évoluant dans le roman jusqu'au début du XXème siècle :
on s'en étonne moins lorsqu'on connaît la biographie et les livres de
son modèle dans la réalité, Vita Sackville-West (1892-1962), avec
laquelle Woolf a entretenu une liaison et une belle correspondance...
On est donc à nouveau comblé par la maîtrise dont fait
preuve Woolf, tant dans la menée du récit que dans le style de
l'écriture, pour nous présenter un jeune homme confronté aux délices et
désillusions de l'amour ; qui se réveille d'un sommeil dont la
description pourrait bien être une analogie avec les périodes de
dépression vécues par l'autrice ; qui effectue une tentative pour
devenir écrivain, aventure dont la description ne manque pas d'ironie et
devient un châtelain matérialiste, une sorte de "Des Esseintes" allégé ;
qui fait dire à l'un de ses personnages que le participe présent est le
diable incarné ; et ainsi de suite pour découvrir à Constantinople que
la Vérité est de devenir une femme.
La Vérité est ici celle d'une langue inventive qui
comprime le temps, brouille les identités et rend fantastique la
réalité, dans des variations narratives magistrales et étonnantes,
renouvelant l'expression de thèmes déjà rencontrés dans les romans
précédents : l'identité, l'opposition entre moi social et intime, la
féminité et la domination masculine, l'écriture réflexive sur elle-même,
etc.
"Le siècle était celui d'Élisabeth ; leur moralité
n'était pas la nôtre ; pas plus que leurs poètes ; pas plus que leur
climat ; pas plus même que leurs légumes. Tout était différent." p. 44
"Nous devons modeler nos mots au point qu'ils constituent le tégument le plus fin de nos pensées." p. 182
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