Les sables de la mer - John Cowper Powys - 1934 - Édition Le Livre de Poche Plon 1972
Ce roman paru en 1934, dans la traduction de Marie Canavaggia, semble aussi étrange que son auteur le gallois John Cowper Powys (1872-1963).
Le personnage Magnus Prior apparaît pris dans ses
pensées et engoncé dans sa propre couardise et les manifestations de la
nature : le vent, les embruns, le sable, le soir d'hiver qui tombe.
Un petit théâtre de Guignol est encore en activité le
long de la plage au crépuscule, le sulfureux prédicateur Sylvanus est
pris à partie par un gendarme, le paquebot tarde à accoster, l'obscurité
semble même envahir les pensées dans le port de Sea-Sands, au sud-ouest
de l'Angleterre, vers 1912.
L'ambiance du début du roman est proche de l'inquiétante
étrangeté freudienne, plus moderne que celle qu'on peut trouver dans
les romans gothiques ou ceux de E T.A. Hoffmann, et prend des allures
plus balzaciennes ensuite, sans être ni l'une ni l'autre.
Par le regard, la jeune et inexpérimentée Perdita Wane
semble elle aussi incluse dans le paysage portuaire qui l'accueille.
Venue de Guernesey, elle rencontre d'abord Adam Skald le caboteur, qui
lui aussi paraît "s'amalgamer avec les lumières, les odeurs, les
rumeurs, l'obscurité..."
Il touche une pierre, manipule un gros galet dans sa poche : le contact froid avec le minéral contient ses pensées de meurtre.
Pendant ce temps, dans cette ville côtière où il y a
même un musée de l'enfer, les jeunes filles s'envoient des lettres en
les glissant dans un mur de pierres...
Cowper Powys déploie son roman dans un style d'écriture
qui étire le temps et l'espace : c'est un roman psychologique qui prend
le temps de détailler les pensées et motivations des personnages et
inscrit leurs relations dans l'environnement ; un roman de la nature
dans lequel la géographie du pays est aussi un paysage mental original
et intrigant, décrit avec une beauté minutieuse du langage.
La tempête située au centre du livre en est un point
culminant, le naufrage est celui des hommes dont les mouvements
intérieurs sont liés à ceux de la nature : moment infernal probablement
plus proche de Milton que de Dante, proche aussi des romans gothiques de
la fin du XIXème siècle.
Le mélange de sauvagerie et de sensualité de la nature
s'impose comme parallèle à celui des tentations d'amour et de mort
éprouvées par les hommes et les femmes de ce pays côtier battu par les
vagues de la mer.
Le récit est tendu, le drame est comme les braises sous
la cendre, prêt à surgir à chaque détour du chemin, dans ce monde où les
hommes ne comprennent pas les femmes. La raison du plus fou
vaincra-t-elle celle de celui qui torture les animaux ? Curieusement,
Powys met vers la fin de son livre un réquisitoire contre la vivisection
des chiens : c'est l'une des curiosités de ce grand livre étrange, ce
livre de la mer qui n'avait pas assez d'eau pour noyer tous les
chagrins.
John Cowper Powys - Les sables de la mer - Livre de Poche N°3328 - Traduction de Marie Canavaggia - Préface de Jean Wahl - 1972
Le titre original est "Jobber Skald". On trouve aussi ce roman sous le titre "Les sables de Weymouth".
Le titre original est "Jobber Skald". On trouve aussi ce roman sous le titre "Les sables de Weymouth".
Marie Canavaggia (1896-1976), grande traductrice, a été la secrétaire et correctrice de l’œuvre de Louis Ferdinand Céline.
"Cela arrive souvent aux promeneurs : au sortir d'une
ville ou d'un village, quelque temps ils bavardent, sont accostés par
des passants ; mais s'ils avancent assez longtemps le long d'une même
route, ou d'une même plage, un moment vient où le chemin inanimé les
subjugue, les réduit au silence, à une étrange passivité. Alors, sous le
charme d'une des apparences les plus simples de la matière - un fossé
boueux, une piste pavée de silex, un mur de pierre - il leur est donné
de prêter l'oreille à des propos trop profonds pour retentir tout haut ;
ils deviennent des indiscrets qui surprennent les litanies que depuis
des siècles psalmodie la matière, ils partagent la piété du cosmos dont
la religion est d'attendre. Ce mur gris-blanc sous les pieds de la jeune
fille et aux côtés du jeune homme, il avait l'air, là, doré par le
soleil, de s'être imperceptiblement rapproché de l'esprit conscient des
promeneurs, l'air de poser une question à ces intelligences absorbées en
elles-mêmes. Mais le couple continuait de cheminer sans prendre
conscience d'un appel que, depuis des millions d'années, la vie
planétaire lance aux organismes sensibles et doués de mouvement." p.193
"Nous savons ce que nous sommes, mais nous ne savons pas ce que nous pourrions être." p.198
John Cowper Powys 1934
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