La narratrice demande, page dix-sept, "Que peut bien signifier tout cela ?" et indique page cinquante-quatre : "Presque tout ce qu'elle rencontre prend une étrange signification." Elle demande, un peu plus loin : "A-t-elle fait quelque chose d'insolite ?" alors qu'elle est en train de rentrer dans les greniers des maisons pour y chercher les personnages d'un roman.
Page soixante-cinq, un homme dit à son propos : "Ne voyez-vous pas que cette femme est folle ?"
On sait que Unica Zürn a côtoyé les surréalistes, Henri Michaux et a terminé sa vie en psychiatrie. Pour autant, il ne semble pas possible de réduire son récit maîtrisé à un exercice d'écriture automatique ou à un témoignage d'une personne atteinte de maladie mentale : il est sans doute un peu des deux, mais bien mieux que cela, de par la maîtrise stylistique et narrative qui fait de cet ouvrage, bien que déconcertant à plus d'un titre, une œuvre d'écrivain.
Lorsqu'elle rencontre des personnes folles, la narratrice commence de s'interroger sur sa propre santé mentale, semblant regarder les autres comme un miroir d'elle-même. La description des comportements des patients de l'hôpital psychiatrique devient un véritable reportage, une expérience qui lui fait se demander ce qu'elle a si obstinément espéré toute sa vie et l'amène à décrire sa propre dépression et une tentative de suicide.
À la sortie de l'hôpital, le retour des hallucinations donne des pages habitées proches du conte fantastique. Les vécus d'expériences de perceptions alternatives amènent un langage autre et offrent un espace étrange de lecture, avant le retour à l'asile.
"Mais elle a déjà à demi disparu dans l'abîme d'une nouvelle et profonde dépression, comme si c'était là la loi de sa maladie : quelques jours extraordinaires, quelques nuits pleines d'événements hallucinatoires, bouleversants, une brève envolée, la sensation d'être un personnage hors série, et puis par là-dessus la chute, le retour à la réalité où elle reconnaît ses illusions."
Le contraste est grand entre le contenu, le récit autobiographique de la folie, et la forme, une narration maîtrisée rédigée nécessairement pendant les moments de lucidité. Cela augmente l'aspect tragique de ce livre, de cette histoire dont on sait qu'elle finira mal dans la réalité. Durant cette errance, on croise le nom du docteur Ferdière, dont personne n'a oublié qu'il était le psychiatre d'Antonin Artaud.
"Depuis
hier je sais pourquoi je rédige ce livre : pour rester malade plus
longtemps qu'il ne convient."
Ces "Impressions d'une malade mentale", c'est le sous-titre du livre, nous impressionnent : elles forment une expérience de lecture rare.
Le livre est traduit de l'allemand par Ruth Henry et Robert Valançay, il est préfacé par André Pieyre de Mandiargues, édition de 1971.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire