Se
faisant ethnographe de la ville nouvelle où elle habite depuis vingt
ans, Annie Ernaux élargit la palette de son art sociobiographique
scrutant les inégalités sociales et le vécu d'une transfuge de classe en
observant notamment ce que cela fait au langage, dans un texte qu'elle
nomme "une tentative d'atteindre la réalité d'une époque... au travers
d'une collection d'instantanés de la vie quotidienne collective." Dans
une "sorte d'écriture photographique du réel" dans laquelle Annie Ernaux
met beaucoup d'elle-même, elle nous offre un ethnotexte passionnant
mettant en valeur les significations de gestes, comportements, paroles
du quotidien qui prennent sens dans son écriture concise et précise. Les
notations sont touchantes, mélancoliques, souvent comiques et parfois
tragiques et nous font comprendre concrètement ce que sont les
inégalités, la domination, l'humiliation, ainsi que l'aliénation liée à
la consommation de masse. Ce qui fait littérature ici, en dehors du
regard acéré d'Anne Ernaux, c'est le style adapté au propos, que
l'auteure nomme "écriture plate" dans un précédent livre, une recherche
d'un langage approprié au fait qu'elle "cherche toujours les signes de
la littérature dans la réalité." Elle retrouve ainsi dans son quotidien
des traces de son passé, celui d'avant son changement de classe
sociale, qui est aussi une transformation du langage.
Ernaux, Annie - Journal du dehors 1993 - Folio Gallimard
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