mardi 16 janvier 2024

Ernaux 1993

Se faisant ethnographe de la ville nouvelle où elle habite depuis vingt ans, Annie Ernaux élargit la palette de son art sociobiographique scrutant les inégalités sociales et le vécu d'une transfuge de classe en observant notamment ce que cela fait au langage, dans un texte qu'elle nomme "une tentative d'atteindre la réalité d'une époque... au travers d'une collection d'instantanés de la vie quotidienne collective." Dans une "sorte d'écriture photographique du réel" dans laquelle Annie Ernaux met beaucoup d'elle-même, elle nous offre un ethnotexte passionnant mettant en valeur les significations de gestes, comportements, paroles du quotidien qui prennent sens dans son écriture concise et précise. Les notations sont touchantes, mélancoliques, souvent comiques et parfois tragiques et nous font comprendre concrètement ce que sont les inégalités, la domination, l'humiliation, ainsi que l'aliénation liée à la consommation de masse. Ce qui fait littérature ici, en dehors du regard acéré d'Anne Ernaux, c'est le style adapté au propos, que l'auteure nomme "écriture plate" dans un précédent livre, une recherche d'un langage approprié au fait qu'elle "cherche toujours les signes de la littérature dans la réalité." Elle retrouve ainsi dans son quotidien des traces de son passé, celui d'avant son changement de classe sociale, qui est aussi une transformation du langage.
 
Ernaux, Annie - Journal du dehors 1993 - Folio Gallimard
 

 

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