Philippe
Forest nous offre à nouveau un beau texte sur la littérature, après le
très beau "Beaucoup de jours" sur l'Ulysse de Joyce (2022), avec ici un
ensemble d'écrits qui vient compléter son "Histoire de Tel Quel" parue
en 1995.
Forest redéfinit d'abord le concept d'avant-garde en le différenciant de
celui de modernité. Cela lui permet de lancer son projet de
"questionner le moment présent afin de découvrir les conditions de
possibilité d'une parole littéraire qui ne renonce pas à l'exigence du
vieil idéal moderne."
Il s'agit d'une réévaluation critique de la production littéraire
contemporaine dans laquelle "l'amnésie administrée, l'inculture cultivée
qui sont désormais la règle dans le monde des lettres et qui enjoignent
à tout écrivain d'afficher les signes rassurants d'une ignorance
consensuelle contribuent à prohiber de plus en plus la possibilité de
cette pensée" (celle de lire et écrire).
Vision critique, donc, de la production littéraire contemporaine encore
figée sur les modèles du XIXème siècle sans prise en compte des
avant-gardes successives du XXème.
Forest déploie donc une histoire de l'art du XIXème siècle et du XXème
siècle pour montrer en quoi l'œuvre d'art procède à la fois d'une
esthétique de la représentation et de l'anti-représentation et invite à
penser les catégories de "réel", de "moderne" et de "texte" dans des
chapitres parfois difficiles mais toujours en bonne compagnie :
Hölderlin, Flaubert, Mallarmé, Proust, Michel Foucault, Bataille,
Blanchot, Philippe Sollers, Julia Kristeva et bien d'autres...
Démontant le modèle téléologique linéaire de l'histoire de la
littérature moderne, il en montre les mouvements de balancier entre
retour à l'ancien ou recherche du nouveau, décrivant ainsi la complexité
des moments et des mouvements. Ainsi, l'idée que les avant-gardes
auraient trouvé leur fin lors des années 80 n'est pas si simple, Forest
montrant que le "réel" n'a jamais été absent des expérimentations des
années 60-70 et que l'expérimentation littéraire n'a pas disparu la
décennie suivante. Il décrit donc une intéressante histoire
intellectuelle des soixante dernières années en se gardant de jugements
définitifs et en précisant la forme qu'elle prend récemment dans le
champ de la littérature, celle d'un apparent retour en arrière, d'un
retour à la dimension psychologique du roman et à sa dimension réaliste :
une histoire passant par Sollers, arrivant jusqu'à Michon, Ernaux,
Quignard et quelques autres.
Un livre passionnant - qui nous donne quelques repères dans une
littérature qui a désormais intégré les règles du Spectacle - dont les
plus belles pages sont celles consacrées à Roland Barthes, livre d'un
écrivain qui est probablement un auteur et essayiste majeur de notre
époque.
Philippe Forest. Rien n'est dit. Fiction et Cie, Seuill 2023
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire