Woolf fait ses gammes dans ce deuxième roman de facture très classique, elle le fait avec la grande maîtrise déjà présente dans sa première œuvre (La traversée des apparences 1915), en restant encore dans les formes balisées du roman du XIXème siècle.
La satire bienveillante de la société de son temps, teintée d'ironie, s'appuie sur sa propre biographie, et apparaissent déjà les premières critiques de la condition féminine qu'elle déploiera plus tard dans ses autres romans et essais. On a là une littérature d'analyse fine et subtile, d'une grande intelligence, qui donne une autre dimension aux intrigues amoureuses de salon, qui deviennent support d'explorations abyssales par la force d'un style littéraire unique.
À la critique de l'oisiveté de la société aristocratique de l'époque répond le questionnement sur le travail et son investissement par les femmes, ainsi que leur accès au droit de vote (accès étendu à toutes en 1928 au Royaume-Uni, seulement en 1944 en France) : sans être une féministe, les thèmes abordés par Woolf en 1919 (l'action du roman se passe en 1911) frappent par leur modernité.
La rêverie, qui permet la distinction entre le moi social et le moi intime, est exprimée ici dans des pages de haut niveau de la littérature psychologique.
Virginia Woolf semble pousser aux limites l'utilisation de la technique du narrateur omniscient avant de passer à autre chose : elle écrit dans son journal que la rédaction de ce livre a été un moyen d'éviter sa propre folie. Elle joue en les étirant à l'excès avec les clichés du genre (voir le chapitre 31 des chassés-croisés), c'est tout juste si l'on ne voit pas les amoureux courir l'un vers l'autre le long du quai d'une gare à la fin..., mais ça se passe dans un salon, sous forme d'une ellipse dans le récit. (p. 585)
Un seul reproche à faire à tous ces personnages, c'est qu'ils boivent trop de thé : ils feraient bien d'essayer le café, les couples seraient peut-être mieux assortis à la fin...
Woolf, Virginia - Nuit et jour 1919- Folio Gallimard N°6244
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire