jeudi 18 janvier 2024

François Augiéras (1925-1971)

Un aérolithe est passé en allure portante, dans des directions et selon des provenances dont on cherche encore à préciser de quelles énergies témoigne cette fulgurance de météorite. On le repère brièvement à Rochester USA, au-dessus de la Grèce près du Mont Athos, dans le désert du sud algérien et très souvent, dans le creux primitif des vallées du Périgord, originant des ronds éternels dans l’eau de la Vézère ou de la Dordogne. On l’aperçoit au bord des falaises périgourdines ou grecques, dans le noir des cavernes millénaires ou le fond des bunkers sahariens, à l’exposition du plein soleil du désert ou au milieu de la nuit forestière du sud-ouest de la France.

On le décrit comme étant toujours à la recherche d’une autorité (amicale, paternelle, militaire) mais il n’en finit pas de se dérober. « Je suis certainement un poète, et je ne serai jamais un adulte ; il y a en moi une âme d’enfant...» (Lettre à P. Placet du 27.07.59). On le croit fasciné par les armes, les couteaux, les fusils, mais il les enterre dans les rivières. « J’aime les armes automatiques.../... J’aime l’action violente ; aussi la douceur d’une soirée près d’un feu...». (Lettre à P. Placet. 27 août 1958). Il vit dans le désert ou dans les cavernes, et pourtant, il écrit ne pas aimer la solitude. Il aime les hommes et va au bordel avec des femmes ou se marie. « J’aime la lune comme on aime une femme...» (Lettre du 30.08.58). Il écrit... et il peint.

François Augiéras vit, peint et écrit le milieu d’un vingtième siècle inédit, secret et énergique, sensuel et violent, sulfureux et révolté. Il pose avant l’heure des antennes incroyables sur les toits et les têtes, qui viendront capter des ondes non élucidées, et lui permettront d’expérimenter que « la création artistique est un enfer où l’on est prisonnier de ses rêves et de ses souvenirs». (Lettre à P. Placet, 9 août 1956). Il mélange l’ocre et la sueur pour laisser quelques livres, quelques tableaux, et une trace non mesurable et inclassable dans la littérature du siècle dernier.

Initialement, le projet d’écriture se déploie de manière incertaine, dans « des livres en couleur expédiés du désert sans rien savoir du métier d’écrivain » (Le vieillard et l’enfant), dans le doute mais aussi avec puissance, où naît « l’invincible croyance en la force des mots ». Un coup de dé posté presque au hasard, départ sous la forme « d’un petit récit, primaire, émouvant, maladroit, mal écrit » (Une adolescence au temps du maréchal, p. 216) d’une œuvre relativement courte (7 ou 8 livres et une correspondance indissociable de son œuvre) dans une vie assez brève - Augiéras meurt à 46 ans - mais bien remplie, où la chandelle a été largement brûlée par les deux bouts.

Les formes de l’écriture sont comme la vie, indécidables : le destin est réécrit, l’œuvre est plus ou moins autobiographique et pourtant, le déroulement de la vie n’est pas si facile que cela à reconstituer. De nombreux déplacements, depuis les grottes profondes du Périgord jusqu’aux chemins de ronde des forts du désert, en passant par les falaises du Mont Athos – et ses cavernes aussi – pour revenir dans les vallées des premiers matins du monde, brouillent les pistes retracées par l’écrit. Une vie et une écriture qui vont jusqu’au bout, s’affirmant ainsi toutes deux comme expériences des limites, jusqu’à la série des infarctus comme points de suspension... La voix de l’écrivain, dont on peut entendre un enregistrement dans le film de Stéphane Sinde, semble lire dans l’urgence, tout le temps au bord de l’essoufflement. Elle s’éteindra dans la solitude en 1971.

On l’entend mieux, semble-t-il, trente ans après : Augiéras est réédité, exposé, étudié... un peu comme il l’avait prévu : « Je suis pourtant certain de la survie de mes livres ; justement parce que j’habite un peu loin des hommes... Je le connais, ce siècle. C’est une manie chez lui que d’exhumer, que de retrouver les manuscrits perdus. » (Une adolescence...).

Ce texte a été écrit il y a quelques années, il est republié ici.

Bibliographie :

Les noces avec l’Occident - Fata Morgana
Le vieillard et l’enfant - Éditions de Minuit
Le voyage des morts – Fata Morgana
La chasse fantastique (rédaction avec P.Placet) - Phalène
L’apprenti sorcier – Fata Morgana
La trajectoire (Une adolescence au temps du maréchal) – Fata Morgana
Un voyage au Mont Athos - Flammarion
Domme ou l’essai d’occupation – Fata Morgana
Lettres à Paul Placet - Fanlac


La stèle d'Augiéras à Domme. Photo (C) sonneur




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