lundi 23 septembre 2024

Le bavard 1946-1963

Le bavard – Louis-René Des Forêts - L’Imaginaire Gallimard N°32

Le narrateur se regarde dans un miroir et admet, alors qu'il pensait montrer quelques singularités, qu'il est comme les autres. Comme nous autres, lecteurs, qui nous regardons dans le miroir du roman. Se pose donc la question de quelle langue pour quelle sincérité : là, le narrateur est obligé à la contradiction, car en affirmant ne pas s'interroger sur quelle forme donner à son récit, il se pose déjà la question de la langue. L'obligation à l'ironie met en doute la véracité même de l'ironie employée, donne à l'écriture et au lecteur lui-même un caractère incertain, dans une langue somptueuse qui s'autodétruit (pourquoi pense-t-on à Doubrovsky ?).

Le bavard est donc celui qui est en crise au bord de la falaise, quand il ne peut assouvir son besoin de discourir. Le lecteur est-il en crise quand il ne peut assouvir son besoin irrépressible de lire, est-il au bord de la falaise ? "Et un lecteur, j'insiste, ça veut dire quelqu'un qui lit, non pas nécessairement qui juge."

Et l'écrivain précise : "Nous ne sommes pas ici, Dieu merci, pour courir après une vérité qui se dérobe sans cesse..."

Il déroule donc des phrases au sens en permanence rebondi - qui pourraient tuer la littérature s'il ne le faisait dans une prose poétique à la musicalité précise, entraînant le lecteur dans une valse d'écriture ininterrompue. Des Forêts invente donc une sorte de suspense textuel - Quignard parle de pure contamination des mots les uns avec les autres - un suspense dont la résolution attendue est le point à la fin de la phrase. C'est un peu comme s'il intensifiait à l'échelle du paragraphe ou de la phrase et de sa cadence des procédés d'écriture que l'on trouve chez Ian Potocki ou Laurence Sterne à l'échelle du roman. Mais ça n'est sans doute pas tout à fait cela : Quignard évoque plutôt des emprunts à Kleist ou Dostoïevski.

On note que cette édition offre une magnifique quatrième page de couverture rédigée par Pascal Quignard, un court texte plein d'intelligente précision introduisant à la lecture du livre, rendant ainsi inutile toute autre recension ou présentation : alors, cessons nos bavardages, taisons-nous et lisons.


"Aucune importance d'ailleurs pour la suite des événements et croyez bien que si j'analyse, si je construis des hypothèses, si je temporise, c'est moins par scrupule de ne rien laisser perdre de ce qui me vient en vrac à l'esprit que parce qu'il me plaît de me livrer à un petit jeu aussi frivole qu'inoffensif auquel je ne me targue nullement d'être passé maître : celui qui consiste en premier lieu à tenir l'interlocuteur en haleine, puis, par le simulacre d'un tic assez déplorable, à l'égarer avec ce qui aurait pu être, ce qui a peut-être été, ce qui n'a sûrement pas été, ce qu'il aurait été bon qu'il fût et ce qu'il aurait été fâcheux qu'il ne fût pas et ce qu'on a négligé de dire et ce qu'on a dit qui n'a pas été et ainsi de suite jusqu'à ce qu'enfin à bout de patience, s'écriant : " Au fait, au fait ! », on vous assure, par ce furieux rappel à l'ordre, que vous n'avez pas tout à fait perdu votre temps." p. 34


Voir aussi : Pascal Quignard – Le vœu de silence : sur Louis-René des Forêts – Fata Morgana 1985

Louis-René Des Forêts

 

Quignard 1985

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