Un homme qui dort 1967,
c'est
aussi un homme qui rêve, qui perd une dimension de l'espace pendant
l'endormissement mais est capable de porter une attention extrême à
ses sensations et peut les décrire précisément. Paradoxalement, ce
narrateur ensommeillé paraît très bien éveillé alors qu'il
s'endort. Aurait-on là une ressemblance avec la technique des
séances psychanalytiques ?
Refuge, évitement, immobilisme,
dédoublement, répétition, évanouissement, perte du sentiment
d'exister, confusions temporelles, crainte de l'effondrement pour en arriver à l'indifférence.
Et plus tard la multiplication des contraintes d'écriture, pour
remettre de l'ordre.
Perec savait très bien choisir ses psychanalystes : Françoise
Dolto, Michel de M'Uzan, Jean-Bertrand Pontalis, parmi les meilleurs
praticiens de l'époque et qui savaient écrire...
L'homme qui
dort de Perec serait-il un cousin de Bartleby ? Plutôt, à
l'époque, une jeune homme dépressif vivant une jeunesse difficile. Mais la référence au héros de Melville est bien présente.
Perec
est-il un formaliste : tous les écrivains le sont ; un joueur, c'est
certain. Il invente des formes, des jeux avec la langue littéraire
qui semblent autant de masques. Il répond à sa manière à
l'interrogation d'Adorno - qui redoublait celle d'Hölderlin - qui
demandait s'il était encore possible d'écrire de la poésie après
Auschwitz. On ne dit rien d'original ou de méconnu dans ce
paragraphe, mais tout cela qui imprègne la lecture transparaît dans
chaque page de Perec et mérite l'insistance.
Christophe Claro dit cela beaucoup mieux dans "Une seule lettre vous manque" : "Un philosophe allemand a dit - à peu près, je sais - qu'après Auschwitz, la poésie n'était plus possible. Un poète juif américain, Jerome Rothenberg, a dit, lui, qu'après Auschwitz- très précisément- la poésie était pour lui inévitable, plus que nécessaire. Avec Perec, on sent bien que la poésie, désormais, est présente dans son absence."
« Jadis, à New York, à quelques centaines de mètres des brisants où viennent battre les dernières vagues de l’Atlantique, un homme s’est laissé mourir. Il était scribe chez un homme de loi. Caché derrière un paravent, il restait assis à son pupitre et n’en bougeait jamais. Il se nourrissait de biscuits au gingembre. Il regardait par la fenêtre un mur de briques noircies qu’il aurait presque pu toucher de la main. Il était inutile de lui demander quoi que ce soit, relire un texte ou aller à la poste. Les menaces ni les prières n’avaient de prise sur lui. A la fin, il devint presque aveugle. On dut le chasser. Il s’installa dans les escaliers de l’immeuble. On le fit enfermer, mais il s’assit dans la cour de la prison et refusa de se nourrir. »
Georges Perec. Un homme qui dort. P. 258 Œuvres I, Bibliothèque de la Pléiade
On
peut voir sur l'Internet le film qu'a tiré Perec de ce livre en
1974, avec la belle tête jeune de Jacques Spiesser et la voix suave
de Ludmila Mickaël :
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