La boutique obscure 1973.
Puisque
les rêves dont est rempli ce livre sont datés, on apprend dès la
première page que Perec commence à rêver en mai 1968, et on s'en
amuse : mais c'est tout de suite moins drôle quand on se rend compte
que son premier rêve se déroule dans un camp de concentration. On
n'en a pas fini avec la terreur.
Lire
des récits de rêve, je trouve cela souvent ennuyeux, sauf chez
Freud dans Die Traumdeutung où les songes peuvent être
émouvants, voire poignants ("Père, ne vois-tu pas que je
brûle ?") : lui est aussi un écrivain qui de plus établit
un véritable suspense conceptuel dans ses essais.
Perec oscille d'abord entre le récit de rêve classique et la
prose poétique, pour aller ensuite vers la forme et/ou le jeu sur la
langue, syntaxique notamment. L'écriture donne une forme, une étoffe
aux rêves, contient l'angoisse : celle qui va de la terreur
infantile jusqu'à l'angoisse existentielle en passant par la peur
devant le danger, l'angoisse qui envahit le moindre espace d'une vie.
Perec tente de la maîtriser et de la tenir à distance par
l'écriture.
Un
psychanalyste peut faire son marché dans cette petite boutique
obscure, y retrouver l'angoisse de séparation, la crainte de
l'effondrement, les vacillements de l'identité, les représentations
fantasmatiques du corps, etc. Mais comme souvent dans la psychanalyse
appliquée, cela nous en apprendra sûrement plus sur la science
freudienne que sur la littérature.
L'autre
lecteur peut être attentif à la manière dont Perec tourne autour
de la forme classique du récit de rêve, explorant ses limites sans
oser la détruire, fragmentant la narration, y insérant des morceaux
poétiques ou des jeux syntaxiques rappelant le lien lacanien entre
les oppositions syntagme/paradigme d'une part et métaphore/métonymie
d'autre part, ou encore introduisant des variations avec les signes
typographiques. Ou bien encore on pourra se demander si le rêve
évoquant Sarrasine de Balzac et son commentaire par Barthes
n'est pas un point nodal, une clé des songes…
Vers
la fin du livre, Perec imagine un grand parking sous forme d'une
"gigantesque spirale qui s'enfonce dans le sous-sol"
: la liberté interprétative du lecteur n’a aucun mal à y déceler
une analogie avec la représentation classique de l'enfer de Dante.
Il
se peut que chacune de ses explications passe à côté du texte,
comme on est probablement en train de le faire avec cette note :
c'est un lieu commun de dire que les grands textes résistent à
l'explication univoque, mais disons-le quand même.
Une
porte sans clé, qui s'ouvre aisément mais ne mène jamais au même
espace chaque fois qu'on l'ouvre à nouveau...
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