mercredi 2 avril 2025

Espace Perec 1973

La boutique obscure 1973.


Puisque les rêves dont est rempli ce livre sont datés, on apprend dès la première page que Perec commence à rêver en mai 1968, et on s'en amuse : mais c'est tout de suite moins drôle quand on se rend compte que son premier rêve se déroule dans un camp de concentration. On n'en a pas fini avec la terreur.


Lire des récits de rêve, je trouve cela souvent ennuyeux, sauf chez Freud dans Die Traumdeutung où les songes peuvent être émouvants, voire poignants ("Père, ne vois-tu pas que je brûle ?") : lui est aussi un écrivain qui de plus établit un véritable suspense conceptuel dans ses essais.


Perec oscille d'abord entre le récit de rêve classique et la prose poétique, pour aller ensuite vers la forme et/ou le jeu sur la langue, syntaxique notamment. L'écriture donne une forme, une étoffe aux rêves, contient l'angoisse : celle qui va de la terreur infantile jusqu'à l'angoisse existentielle en passant par la peur devant le danger, l'angoisse qui envahit le moindre espace d'une vie. Perec tente de la maîtriser et de la tenir à distance par l'écriture.


Un psychanalyste peut faire son marché dans cette petite boutique obscure, y retrouver l'angoisse de séparation, la crainte de l'effondrement, les vacillements de l'identité, les représentations fantasmatiques du corps, etc. Mais comme souvent dans la psychanalyse appliquée, cela nous en apprendra sûrement plus sur la science freudienne que sur la littérature.


L'autre lecteur peut être attentif à la manière dont Perec tourne autour de la forme classique du récit de rêve, explorant ses limites sans oser la détruire, fragmentant la narration, y insérant des morceaux poétiques ou des jeux syntaxiques rappelant le lien lacanien entre les oppositions syntagme/paradigme d'une part et métaphore/métonymie d'autre part, ou encore introduisant des variations avec les signes typographiques. Ou bien encore on pourra se demander si le rêve évoquant Sarrasine de Balzac et son commentaire par Barthes n'est pas un point nodal, une clé des songes…


Vers la fin du livre, Perec imagine un grand parking sous forme d'une "gigantesque spirale qui s'enfonce dans le sous-sol" : la liberté interprétative du lecteur n’a aucun mal à y déceler une analogie avec la représentation classique de l'enfer de Dante.


Il se peut que chacune de ses explications passe à côté du texte, comme on est probablement en train de le faire avec cette note : c'est un lieu commun de dire que les grands textes résistent à l'explication univoque, mais disons-le quand même.


Une porte sans clé, qui s'ouvre aisément mais ne mène jamais au même espace chaque fois qu'on l'ouvre à nouveau...

 


 
Balzac Sarrasine

 

 

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