mardi 1 avril 2025

Espace Perec 1975

W ou le souvenir d'enfance 1975.


L'écriture de Perec se fait somptueusement classique, mais le jeu sur la forme persiste : on lit ici deux textes entrelacés comme les serpents du caducée d'Hermès, qui se répondent l'un l'autre comme les deux lignes spiralées d'un foret de langage creusant la mémoire pour en extraire des fragments à la signification incertaine, qui peinent à préciser le flou d'une identité labile. Les deux faces de cette écriture schizophrène sont comme les questions et les réponses, les attentes et les épiphanies, comme le silence et la parole, le fantasme et la réalité : elles sont l'outil d'écriture choisi par Perec pour tourner autour, progressivement définir les contours et les limites de sa biographie.


Cette recherche reste un work in progress, passant par un personnage protéiforme (Gaspard Winkler) qui apparaît dans plusieurs livres de Perec : elle prend par moments l'allure d'un roman policier ou d'un échange entre un psychanalyste et son analysant pour construire la plus originale des autobiographies : "Ce projet d'écrire mon histoire s'est formé presque en même temps que mon projet d'écrire."


Autre procédé d'écriture : le texte dans le texte (chapitre VIII) suivi d'une quantité de notes qui le remettent en question. Perec réussit là malgré la contrainte d'écriture des pages émouvantes sur son père et sa mère : "L'indicible n'est pas tapi dans l'écriture, il est ce qui l'a bien avant déclenchée."
La description parallèle d'une société de plus en plus dystopique et des souvenirs d'enfance fait peser sur ces derniers une sourde menace. Perec écrit un livre sur la peur et le termine par l'évocation de l'Univers concentrationnaire de David Rousset.


"J'écris : j'écris parce que nous avons vécu ensemble, parce que j'ai été un parmi eux, ombre au milieu de leurs ombres, corps près de leurs corps ; j'écris parce qu'ils ont laissé en moi leur marque indélébile et que la trace en est l'écriture ; leur souvenir est mort à l'écriture ; l'écriture est le souvenir de leur mort et l'affirmation de ma vie." p. 63


In extremis, une lueur d'espoir apparaît : elle vient de la littérature.
"Je lis peu, mais je relis sans cesse, Flaubert et Jules Verne, Roussel et Kafka, Leiris et Queneau ; je relis les livres que j'aime et j'aime les livres que je relis, et chaque fois avec la même jouissance, que je relise vingt pages, trois chapitres ou le livre entier : celle d'une complicité, d'une connivence, ou plus encore, au-delà, celle d'une parenté enfin retrouvée." p. 195


Par son aboutissement mais aussi par ce qu’il masque plus ou moins tout au long de la narration, W est un roman terrifiant.


 

Perec W 1975

 

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