L'espace commence ainsi. François Bon 2024
Parler de dette alors qu’on ferait mieux d’évoquer une continuité, même pas une filiation, seulement le jeu éternel de la littérature fait de mémoire, d’échos : la vie du langage, un langage en vie contre l’anéantissement, un creusement du langage contre la pulsion de mort.
François
Bon reprend en titre une phrase de "Espèces d'espaces"
de Perec pour bien souligner la dette littéraire qu'il a contractée
auprès de ce livre et de son auteur, et souhaite l'honorer en ne se
contentant pas de commenter mais plutôt en cherchant à "éclater,
distendre, chercher les vides, les béquilles, les fissures et
dissymétries".
François
Bon évoque un point de départ du côté de l'effacement et du vide,
qui est aussi celui des limites, du rapport contenant/contenu. Il
évoque la géographie, les frontières, mais il se pourrait bien
qu'il soit question ici de limites psychiques : "L'objet de
ce livre n'est pas exactement le vide, ce serait plutôt ce qu'il y a
autour ou dedans." écrit Perec : F.B. nous rappelle cette
phrase de Perec avant de souligner la référence ultime à David
Rousset et à "L'univers concentrationnaire".
L'horreur est toujours là derrière le masque.
Le
lien est souligné entre Lieux, La vie mode d'emploi,
Espèces d'espaces et F.B. rappelle les conditions dans
lesquelles ce dernier livre a été édité ainsi que "la
rupture majeure d'Espèces d'espaces : comment avant d'amorcer
l'écriture en penser même les conséquences les plus radicales ?".
L'analyse
du thème du lit comme espace de lecture permet à F.B. de rappeler
l'importance de la mémoire de la position corporelle pour le rappel
des lectures et comment celle-ci se retrouve dans différents livres
de Perec.
Sur
le thème de l'espace de la page, l'écriture de F.B. devient une
prose poétique dense : il fait allusion à Quignard et ses Petits
traités, mais cette densité de l'écriture critique nous
rappelle aussi celle de Maurice Blanchot, sans qu'on sache préciser
pourquoi. Il esquisse donc une réflexion étonnante sur l'imaginaire
de la page dans laquelle le voici devient un il y a
(Jankélévitch pas loin ?), et on se dit que 53 pages, ça va pas
suffire…
Quand
François Bon évoque l'espace de la chambre (suivant ainsi le plan
de Perec), il passe de Venise à Carpaccio à Raymond Roussel en
variant encore son mode d'écriture, qui rappelle la technique de
l'association libre en psychanalyse, associations en vérité
parfaitement maîtrisées ici.
Il
nous révèle ensuite en quoi l'hôtel du Lion d'Or à Saint-Chély
d'Apcher est un hapax, comment Perec nous offre d'écrire par le
lacunaire, nous révèle ce que viennent faire là-dedans Kafka,
Borges et Tolstoï ; il y a aussi la lanterne magique de Proust, le
mur de Beckett, et la fabuleuse Maison des feuilles de
Danielewski (traduit par Claro, un vrai tour de force perecquien) ;
on apprend avec F.B. à mieux relire le chapitre de Perec sur la
campagne et à noter l'absence de Guy Debord. Et ainsi de suite…
Bref,
François Bon nous ouvre savamment la porte de l'écriture de Georges
Perec : c'est probablement aussi, en partie du moins, une porte de
l'écriture de François Bon.
C’est le N°3 sur 53 de la collection Dire son Perec des éditions l’Oeil ébloui.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire