vendredi 4 avril 2025

Espace Perec 2024 (François Bon)

L'espace commence ainsi. François Bon 2024

Parler de dette alors qu’on ferait mieux d’évoquer une continuité, même pas une filiation, seulement le jeu éternel de la littérature fait de mémoire, d’échos : la vie du langage, un langage en vie contre l’anéantissement, un creusement du langage contre la pulsion de mort.


François Bon reprend en titre une phrase de "Espèces d'espaces" de Perec pour bien souligner la dette littéraire qu'il a contractée auprès de ce livre et de son auteur, et souhaite l'honorer en ne se contentant pas de commenter mais plutôt en cherchant à "éclater, distendre, chercher les vides, les béquilles, les fissures et dissymétries".


François Bon évoque un point de départ du côté de l'effacement et du vide, qui est aussi celui des limites, du rapport contenant/contenu. Il évoque la géographie, les frontières, mais il se pourrait bien qu'il soit question ici de limites psychiques : "L'objet de ce livre n'est pas exactement le vide, ce serait plutôt ce qu'il y a autour ou dedans." écrit Perec : F.B. nous rappelle cette phrase de Perec avant de souligner la référence ultime à David Rousset et à "L'univers concentrationnaire". L'horreur est toujours là derrière le masque.


Le lien est souligné entre Lieux, La vie mode d'emploi, Espèces d'espaces et F.B. rappelle les conditions dans lesquelles ce dernier livre a été édité ainsi que "la rupture majeure d'Espèces d'espaces : comment avant d'amorcer l'écriture en penser même les conséquences les plus radicales ?".


L'analyse du thème du lit comme espace de lecture permet à F.B. de rappeler l'importance de la mémoire de la position corporelle pour le rappel des lectures et comment celle-ci se retrouve dans différents livres de Perec.


Sur le thème de l'espace de la page, l'écriture de F.B. devient une prose poétique dense : il fait allusion à Quignard et ses Petits traités, mais cette densité de l'écriture critique nous rappelle aussi celle de Maurice Blanchot, sans qu'on sache préciser pourquoi. Il esquisse donc une réflexion étonnante sur l'imaginaire de la page dans laquelle le voici devient un il y a (Jankélévitch pas loin ?), et on se dit que 53 pages, ça va pas suffire…


Quand François Bon évoque l'espace de la chambre (suivant ainsi le plan de Perec), il passe de Venise à Carpaccio à Raymond Roussel en variant encore son mode d'écriture, qui rappelle la technique de l'association libre en psychanalyse, associations en vérité parfaitement maîtrisées ici.


Il nous révèle ensuite en quoi l'hôtel du Lion d'Or à Saint-Chély d'Apcher est un hapax, comment Perec nous offre d'écrire par le lacunaire, nous révèle ce que viennent faire là-dedans Kafka, Borges et Tolstoï ; il y a aussi la lanterne magique de Proust, le mur de Beckett, et la fabuleuse Maison des feuilles de Danielewski (traduit par Claro, un vrai tour de force perecquien) ; on apprend avec F.B. à mieux relire le chapitre de Perec sur la campagne et à noter l'absence de Guy Debord. Et ainsi de suite…


Bref, François Bon nous ouvre savamment la porte de l'écriture de Georges Perec : c'est probablement aussi, en partie du moins, une porte de l'écriture de François Bon.


C’est le N°3 sur 53 de la collection Dire son Perec des éditions l’Oeil ébloui.

 

 
Perec 1974

 


 

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