vendredi 16 mai 2025

On a peur mais ça va

Le poème paraît s'ouvrir, dès la première phrase qui en est aussi le titre, sous le signe du déni de la peur, ou de la dénégation de l'angoisse : "on a peur mais ça va" peut faire penser à "jusqu'ici tout va bien", ou au "même pas peur » de l'enfance. La peur est là, laisse entrevoir le vide de la blessure ouverte, mais on va faire avec : le poème va nous dire comment.


Le texte se déploie en vers libres dans un chant moderne qui laisse
peut-être affleurer quelques traces de la versification classique (à moins que ce ne soit là l’inconscient du lecteur qui influence la lecture), se déploie dans le thème du corps, en particulier de la difficulté à respirer, dont le registre lexical trouve son rythme du côté de la répétition ainsi que d'une belle musicalité s'appuyant sur des assonances et allitérations qui entraînent le texte vers le chant.


Un chant qui intègre cette difficulté à respirer, en fait son moteur paradoxal, dans un espace ("
Ici") marqué par le silence.


Autre paradoxe apparent, l'eau - dont on croit savoir qu'elle est peu propice à la respiration - a été le lieu des transformations qui mèneront à reprendre son souffle, et à laisser apparaître le langage sous formes "
des choses dont on ne sait pas parler" et au morcellement, ou plutôt à la multiplication des corps. L'évolution, dont le drame se rejoue dans la néoténie, a laissé des traces, mais laisse naître - dans la surprise - la parole du poète, de l'enfant.


Le corps se morcelle dès qu'il peut être nommé, désuni et réuni par les mots qui échouent pourtant à tout dire et à contenir.
Après être sorti de l’eau, il peut même développer l’idée très bachelardienne de l’incorporation à la terre ou à la forêt, voire au feu et à la nuit.


Le poète se tourne alors vers l'étendue et vers le lien à l'autre pour décider, prendre conscience, admirer, épuiser, respirer. L'étonnement de pouvoir nommer le monde implique de se poser la question du "
comment dire", et de prendre conscience des insuffisances du langage, qui reste un code, une convention.


Mais, malgré tout, la respiration devenant langagière, le poème peut alors chanter le feu et l'attente, la nuit et la vie quotidienne et retrouver les questions de l'enfance : "
Est-ce que la mer déborde quand il pleut ?" pour mieux poser des questions de poète et faire face au réel.


On a peur, on a froid et on est fatigué, mais il y a le langage, les mots du poème pour résister, comprendre, prendre ensemble, laisser place à l'imprévu : "
on est sorti de terre à peine vivant / on ne veut pas y retourner avant de s'être mordu la langue".


C'est bien le langage - outil imparfait - dans sa capacité à nous relier aux autres et à organiser la respiration, qui vient nous sauver. C'est bien le poème qui vient nous sauver, nous faire avancer et progresser.

Voilà, c'est juste une lecture parmi d'autres possibles, qui ne prétend pas épuiser ce texte, qu'on a aimé lire dans le monde de sonneur, texte qui n’a pas pas dit son dernier mot à la relecture.



Andréa Thominot - On a peur mais ça va - Cheyne éditeur 2023, 2024, 2025 -
Prix de la Vocation 2023
 

Thominot 2025

 

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