Le poème paraît s'ouvrir, dès la première phrase qui en est aussi le titre, sous le signe du déni de la peur, ou de la dénégation de l'angoisse : "on a peur mais ça va" peut faire penser à "jusqu'ici tout va bien", ou au "même pas peur » de l'enfance. La peur est là, laisse entrevoir le vide de la blessure ouverte, mais on va faire avec : le poème va nous dire comment.
Le
texte se déploie en vers libres dans un chant moderne qui laisse
peut-être
affleurer quelques traces de la versification classique (à
moins que ce ne soit là l’inconscient du lecteur qui influence la
lecture),
se déploie dans le thème du corps, en particulier de la difficulté
à respirer, dont le registre lexical trouve son rythme du côté de
la répétition ainsi que d'une belle musicalité s'appuyant sur des
assonances et allitérations qui entraînent le texte vers le chant.
Un chant qui intègre cette
difficulté à respirer, en fait son moteur paradoxal, dans un espace
("Ici")
marqué par le silence.
Autre paradoxe apparent,
l'eau - dont on croit savoir qu'elle est peu propice à la
respiration - a été le lieu des transformations qui mèneront à
reprendre son souffle, et à laisser apparaître le langage sous
formes "des
choses dont on ne sait pas parler"
et au morcellement, ou plutôt à la multiplication des corps.
L'évolution, dont le drame se rejoue dans la néoténie, a laissé
des traces, mais laisse naître - dans la surprise - la parole du
poète, de l'enfant.
Le
corps se morcelle dès qu'il peut être nommé, désuni et réuni par
les mots qui échouent pourtant à tout dire et à contenir. Après
être sorti de l’eau, il peut même développer l’idée très
bachelardienne de l’incorporation à la terre ou à la forêt,
voire au feu et à la nuit.
Le
poète se tourne alors vers l'étendue et vers le lien à l'autre
pour décider, prendre conscience, admirer, épuiser, respirer.
L'étonnement de pouvoir nommer le monde implique de se poser la
question du "comment
dire",
et de prendre conscience des insuffisances du langage, qui reste un
code, une convention.
Mais,
malgré tout, la respiration devenant langagière, le poème peut
alors chanter le feu et l'attente, la nuit et la vie quotidienne et
retrouver les questions de l'enfance : "Est-ce
que la mer déborde quand il pleut ?"
pour mieux poser des questions de poète et faire face au réel.
On
a peur, on a froid et on est fatigué, mais il y a le langage, les
mots du poème pour résister, comprendre, prendre ensemble, laisser
place à l'imprévu : "on
est sorti de terre à peine vivant / on ne veut pas y retourner avant
de s'être mordu la langue".
C'est
bien le langage - outil imparfait - dans sa capacité à nous relier
aux autres et à organiser la respiration, qui vient nous sauver.
C'est bien le poème qui vient nous sauver, nous faire avancer et
progresser.
Voilà, c'est juste une lecture parmi d'autres possibles, qui ne prétend pas épuiser ce texte, qu'on a aimé lire dans le monde de sonneur, texte qui n’a pas pas dit son dernier mot à la relecture.
Andréa
Thominot - On a peur mais ça va - Cheyne éditeur 2023, 2024, 2025 -
Prix de la Vocation 2023
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