samedi 3 mai 2025

Christine debout

Christine Jeanney - Bien assise. Histoires du ferry, du poulet, d'Henriette et de la répétition. - Tarmac éditions - Nancy 2025


Le mot "assise" du titre avec le dessin et la définition du fauteuil en couverture pourrait laisser entendre la notion de "confort", mais les choses ne vont pas être aussi simples.


L'autrice nous embarque dans un bloc de texte ininterrompu qui rapproche sa narration de la littérature du courant de conscience : peut-être doit-on voir là l'influence de Virginia Woolf, traduite par C. Jeanney.


La narratrice est aidante à distance de sa mère âgée qui "vit en théorie", une image saisissante pour faire comprendre les ravages de la perte d'autonomie. Le récit témoigne de ce que cela fait au langage que de perdre les repères spatiaux et temporels : "...au bout des fils défaits il y a le langage et tous les mots tombent dans la cabine interpersonnelle..." et se souvient des premières désillusions enfantines face aux mensonges des adultes. La leçon - pour la femme poète et écrivaine - est que : "mal nommer le monde c'est l'abîmer".


Se dessine ainsi une sorte de poétique du langage altéré de l'extrême vieillesse qui renvoie à une politique : "...cette société est en faillite", alors que la langue, les mots font " un travail de bêche" ; des mots qui conduisent à une forme de révolte onirique et lyrique.


"...je peux m'atteler à trouver du sens, c'est simple, pour trouver du sens, il suffit d'en chercher..." Face à une personne qui "tue les mots", la narratrice les revivifie dans une narration poétique qui témoigne d'une expérience à laquelle nous pouvons être tous confrontés, et se refuse à laisser mourir le langage.


Le fauteuil est le symbole de la pause, du repos après la tyrannie de la fuite des idées. La narration devient plus classique au deuxième chapitre, du moins dans la forme apparente et au début, et laisse apparaître - avec les souvenirs - une pointe d'humour : "...remplacer Tino Rossi par Mick Jagger...". La narratrice peut enfin nous parler de sa mère d'une manière plus apaisée quand celle-ci est accueillie dans un environnement plus protecteur : le fauteuil devient un contenant rassurant, même si c'est un fauteuil roulant.


Apparaît donc une référence à Virginia Woolf, comme si la narratrice cherchait à se rassurer sur sa capacité à raconter des histoires, ces histoires annoncées dans le sous-titre du livre et qui peuvent enfin se déployer parce que les ressorts du fauteuil - nous dit la narratrice avec humour - sont aussi des ressorts narratifs. Ces histoires qui sont des fragments de vie et de mémoire, comme les cailloux du Petit Poucet, des jalons posés là alors que la fin définitive du chemin est pourtant bien connue. Des bouts de langage qui maintiennent en vie, qui rappellent que la vie et la capacité à la raconter sont indissociables.

Christine Jeanney a su trouver les mots et les formes narratives pour habiter le monde poétiquement à propos d’un thème susceptible de nous concerner tous, et propose un texte d’autant plus émouvant qu’on est en droit d’en soupçonner l’inspiration autobiographique.

 

Jeanney 2025

 

Un autre compte-rendu de ce livre à lire ici.


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