Christine Jeanney - Bien assise. Histoires du ferry, du poulet, d'Henriette et de la répétition. - Tarmac éditions - Nancy 2025
Le
mot "assise" du titre avec le dessin et la
définition du fauteuil en couverture pourrait laisser entendre la
notion de "confort", mais les choses ne vont pas
être aussi simples.
L'autrice
nous embarque dans un bloc de texte ininterrompu qui rapproche sa
narration de la littérature du courant de conscience :
peut-être doit-on voir là l'influence de Virginia Woolf, traduite
par C. Jeanney.
La
narratrice est aidante à distance de sa mère âgée qui "vit
en théorie", une image saisissante pour faire comprendre
les ravages de la perte d'autonomie. Le récit témoigne de ce que
cela fait au langage que de perdre les repères spatiaux et temporels
: "...au bout des fils défaits il y a le langage et tous les
mots tombent dans la cabine interpersonnelle..." et se
souvient des premières désillusions enfantines face aux mensonges
des adultes. La leçon - pour la femme poète et écrivaine - est que
: "mal nommer le monde c'est l'abîmer".
Se
dessine ainsi une sorte de poétique du langage altéré de l'extrême
vieillesse qui renvoie à une politique : "...cette société
est en faillite", alors que la langue, les mots font "
un travail de bêche" ; des mots qui conduisent à une
forme de révolte onirique et lyrique.
"...je
peux m'atteler à trouver du sens, c'est simple, pour trouver du
sens, il suffit d'en chercher..." Face à une personne qui
"tue les mots", la narratrice les revivifie dans une
narration poétique qui témoigne d'une expérience à laquelle nous
pouvons être tous confrontés, et se refuse à laisser mourir le
langage.
Le
fauteuil est le symbole de la pause, du repos après la tyrannie de
la fuite des idées. La narration devient plus classique au deuxième
chapitre, du moins dans la forme apparente et au début, et laisse
apparaître - avec les souvenirs - une pointe d'humour :
"...remplacer Tino Rossi par Mick Jagger...". La
narratrice peut enfin nous parler de sa mère d'une manière plus
apaisée quand celle-ci est accueillie dans un environnement plus
protecteur : le fauteuil devient un contenant rassurant, même si
c'est un fauteuil roulant.
Apparaît
donc une référence à Virginia Woolf, comme si la narratrice
cherchait à se rassurer sur sa capacité à raconter des histoires,
ces histoires annoncées dans le sous-titre du livre et qui peuvent
enfin se déployer parce que les ressorts du fauteuil - nous dit la
narratrice avec humour - sont aussi des ressorts narratifs. Ces
histoires qui sont des fragments de vie et de mémoire, comme les
cailloux du Petit Poucet, des jalons posés là alors que la fin
définitive du chemin est pourtant bien connue. Des bouts de langage
qui maintiennent en vie, qui rappellent que la vie et la capacité à
la raconter sont indissociables.
Christine Jeanney a su trouver les mots et les formes narratives pour habiter le monde poétiquement à propos d’un thème susceptible de nous concerner tous, et propose un texte d’autant plus émouvant qu’on est en droit d’en soupçonner l’inspiration autobiographique.
Un autre compte-rendu de ce livre à lire ici.
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