Juliette Mézenc – Bassoléa ou de l’herbe dans le ventre – Éditions la Contre Allée 2025
Il s'agit d'abord d'apprendre des choses simples, même si l'acte d'incorporation fait peur. Un signe macabre est comme un sésame pour être soi-même objet d'un engloutissement qui dérègle le temps. Cela passe dans un regard qui devient un basculement, un franchissement des limites, le passage derrière le miroir. L'avalement devient plus tactile et donne les réponses, est déterminant, se transforme en "danse avec les bestioles". L'enfouissement naturel apparaît paradoxalement comme un moyen de faire face à l'angoisse de claustration dans la boîte ultime : le paradoxe est le même que celui de l'enfermement dans l'addiction à la drogue en vue de se libérer. Aller sous terre, donc, pour construire une véranda souterraine et observer ce qui se passe à l'ombre pour "lire dans la terre vivante comme dans un livre", observer comment poussent et se décomposent les plantes, comment l'air et l'eau circulent dans les galeries animales. La narratrice nous fait donc vivre des grandes vacances nécrophores grâce à sa prose imaginative, entraîne le lecteur dans son bloc de texte ininterrompu comme dans un tunnel d'écriture, la forme et le fond sont analogiques. Ce parcours vivant n'est pas seulement une belle ode écologique, il est aussi incidemment parsemé de critique sociale : la vanité bourgeoise, l'école, le travail, la politique sociale, le règne de l'argent... ne sont pas épargnés par ces écarts ironiques et le texte poétique devient écrit d'intervention en plus d'être une hymne à la vie et au monde animal. Quand l'observation devient de plus en plus microscopique, le propos tend modestement et brièvement vers la métaphysique et la lumière du soleil, revient au thème de l'incorporation pour enfin poser la question : "Qu'est-ce que je veux inspirer et qu'est-ce que je veux expirer ?". Les deux verbes polysémiques témoignent, comme toutes les phrases de ce texte, de la puissance de l'écrit littéraire et des possibilités expressives et de conviction qui échappent au discours politique, idéologique, scientifique... On ne peut croire que ce récit est celui d'une échappée de l'H.P. ou d'une narratrice en hallucination due au cannabis ou trip sous psilocybine : c'est parce que la poésie démontre ici sa puissance de vérité, sa capacité à entrer en nous par tous les pores de la peau.
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