Laure Murat – Toutes les époques sont dégueulasses – Verdier 2025
Dans ce petit livre, avec un titre qui ne me plaît guère pourtant emprunté à Antonin Artaud, Laure Murat propose de faire une pause.
C'est-à-dire prendre du recul face aux polémiques qui tentent de répondre à la question de la réécriture des classiques de la littérature afin de ne pas déranger les susceptibilités.
Murat renvoie dos à dos les belligérants du débat en essayant de clarifier celui-ci. Elle commence en proposant deux distinctions conceptuelles, deux définitions si l'on veut :
Réécrire, réinventer à partir d'un texte existant, une forme et une vision nouvelle (domaine de l'art et de l'acte créateur).
Récrire, remanier un texte à une fin de mise aux normes sans intention esthétique (domaine de la correction et de l'altération).
Cette distinction permet de lever un certain nombre de confusions qui animent la controverse, et mieux encore, cela met en évidence les incohérences des récritures de textes. Laure Murat en donne quelques exemples avec les œuvres de Ian Fleming, Agatha Christie et Roald Dahl.
Par exemple, l'analyse des tentatives de modifications du roman "Dix petits nègres" lui permet de montrer que "si on peut toujours corriger la lettre, il est impossible de réformer l'esprit" et donc, que la récriture est vouée à l'échec.
Avec un humour discret, Laure Murat renvoie les lecteurs à leur responsabilité, en leur indiquant tout simplement d'arrêter de lire les œuvres qu'ils trouvent sexistes, racistes, démodées et leur propose de s'en tenir aux œuvres contemporaines, mais en les avertissant (c'est l'explication du choix du titre de son livre) que chaque époque produit ses propres aveuglements. Autrement dit, on n'est pas sorti de l'auberge...
Par la suite et non sans ironie, elle démontre l'inanité et les incohérences des caviardages des œuvres de Roald Dahl et rappelle que "Dans la plupart des cas, la visée n'est pas prioritairement la morale, l'antiracisme ou la lutte contre les violences sexistes, comme on essaie de nous le faire croire, mais tout simplement l'argent."
Elle rappelle que éliminer aujourd'hui ce qui gêne c'est "priver les opprimés de l'histoire de leur oppression" et que seul l'auteur d'un texte est légitime pour décider de ses modifications, la récriture menant potentiellement à tous les abus, notamment la censure.
Laure Murat montre aussi, en prenant l'exemple de "Tintin au Congo", comment le choix de la contextualisation peut mener à l'effet inverse de ce qui était recherché. Elle met ainsi en avant l'ambiguïté des préfaces qui devraient plutôt susciter la réflexion.
Quelques pages sont judicieusement consacrées aux problèmes pédagogiques posés par le souci de ne pas choquer, en indiquant que le choix de la vérité est toujours meilleur que celui de ne pas vouloir savoir.
Laure Murat conclue son livre en misant sur la créativité des auteurs, éditeurs, lecteurs afin de déjouer les tendances contemporaines mortifères : à nous de jouer, nous dit-elle...
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