lundi 25 août 2025

J'ai la flemme !...

"Macounaïma" (1928) de Mário de Andrade (1893-1945) : voici un roman aussi luxuriant que la forêt brésilienne et aussi dérangé qu’un conte dadaïste ou un écrit de Joyce, susceptible de plaire tant aux rabelaisiens qu’aux lecteurs de Claude Lévi-Strauss.

Le héros éponyme oscille entre rêve et réalité, manie et dépression, jungle forestière et urbaine, entre fornications diverses et tueries de ses ennemis fantastiques ; il ne cesse de maltraiter ses frères ou bien de les sauver de dangers divers ; il a tout le temps envie de boire et de manger et ne cesse de répéter "J’ai la flemme !..."

Il devient un héros de l’épopée culturelle brésilienne, grâce à la langue richement imagée de l’écrivain, soutenue par les connaissances ethnologiques et anthropologiques de l’auteur, rythmée par ses dons de musicien, du moins pour autant qu’on puisse en juger en traduction. 

Macounaïma, cousin de Pantagruel, est le passeur de la culture populaire brésilienne ; il est aussi inventeur de mots et collectionneur de jurons, ce qui nous vaut, comme chez Rabelais, quelques listes savoureuses et des explications fantastiques sur les origines d’expressions communes de la langue parlée contemporaine.

Alors que, quarante ans plus tard, Garcia Marquez contera somptueusement, dans "Cent ans de solitude", une Amérique du Sud hantée par une compulsion de répétition mortifère, Mário de Andrade choisit d’être du côté de la pulsion de vie, de l’Éros (Même si Thanatos n’est jamais bien loin) et entraîne ses lecteurs dans les palpitations forestières de la culture amazonienne : il se permet même de faire de Blaise Cendrars, furtivement, l’un des personnages de son roman et on n’a pas la flemme de le lire.

Bref, pendant que De Andrade écrivait son Macounaïma en 1927, Heidegger publiait "Être et Temps" en Europe, Proust était mort depuis quatre ans, et ça n’a vraiment, mais vraiment aucun rapport. Il serait plus judicieux de noter que l’auteur accueillait Lautréamont et Rabelais dans sa bibliothèque.

L’édition critique de ce texte accueille la traduction révisée de Jacques Thiériot dans la collection Stock/Unesco/ALLCA XX (1996), et divers textes d’accompagnement, dont un glossaire, une chronologie et une bibliographie. Ces différents écrits donnent des informations sur les étapes de la création du livre, les sources utilisées ainsi que sur la structure du roman et les implications politiques de ce texte.

 


 


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire