Pour faire face à la dépersonnalisation, l'auteur semble d'abord s'accrocher à des signifiants religieux (l'Ecclésiaste, Job) et aux formes de la lamentation et du reproche, mais il évoque aussi, en premier lieu, Antonin Artaud. Plus loin, il évoque le Corps Glorieux, ce qui semble plutôt ironique étant donné l'état de son propre corps, dont l'affaiblissement et l'amincissement le mèneront au coma. Mais il pense que son œuvre est une sorte d'intercession entre lui et le monde ou Dieu.
L'écrivain nomade, vivant à l'époque dans un camping-car, nous fait partager par fragments autobiographiques les difficultés d'être au monde quand on est doté d'une sensibilité extrême et particulière.
"L'œuvre que je fais est aussi une représentation de ce qui manque ; et dans la langue de ce manque. Et je travaille au quotidien à faire exploser cette fatalité."
Il cherche à parler d’humain à humain : on entend dans sa prose autobiographique sa douce voix savante, qui contraste toujours avec ses écrits romanesques et poétiques si sauvages. Il se dépersonnalise, mais s'identifie fréquemment et facilement avec les êtres en déshérence et en marge : vendeurs ambulants, enfants, comédiens, mendiants, exilés, prostitué(e)s... Lui-même n'est pas asocial, il s'appuie souvent sur ses amis et sa famille afin de ne pas sombrer.
Il donne quelques pistes pour comprendre ses écrits, évoque dans ce livre Progénitures (paru en 2000) et Histoires de Samora Mâchel (inédit à ce jour, devant paraître en février 2026). Il précise la transformation, en lui, de l'écriture en langue, puis en Verbe, une transformation qui le pousse dans la rue, mais aussi vers les autres.
"...plus j'interviens physiquement dans la langue, plus j'ai la sensation de vivre ; transformer une langue en verbe est un acte volontaire, un acte physique."
Par petites touches, il nous retrace le chemin qui l'a amené, depuis la langue classique de ses premiers livres - après le tournant constitué par Tombeau pour cinq cent mille soldats et éden, éden, éden - à proférer dans ses textes suivants un verbe sauvage et inouï. Il précise que seul le travail de la langue le maintien à proximité du monde. Pour cet homme pétri d'angoisses archaïques et de terreurs sans noms qui le mèneront en psychiatrie et aux portes de la mort, l'acte de création est un acte total, sans concessions possibles, dans lequel il met en jeu son corps entier et tout son être.
On l'accompagne lorsqu'il fait une fugue à l'âge de dix-neuf ans, une fuite qui le mènera jusqu'à Charleville-Mézières chez Rimbaud, ou bien lorsqu'il prend la route vers le sud dans son camping-car, ou encore lorsqu'il accompagne les comédiens qui mettent en scène ses textes ; mais aussi dans ses séjours à l'hôpital ou en psychiatrie. Par fragments, Guyotat esquisse son autobiographie.
"Écrivant, je suis dans l'axe central de la Terre, mon existence d'humble laboureur de la langue est fichée dans cet axe, dans l'axe de ce mouvement, plus grandiose que le seul mouvement humain : le mouvement planétaire : le roulement de la planète, avec son soleil et ses astres : ainsi échapper même à la sensation de la mort."
Guyotat survit dans une quête sans fin de l'absolu, qui passe par l'écriture, mais aussi par le désir d'aller vers les autres, dont nous, lecteurs, faisons partie.
Pierre Guyotat - Coma - Mercure de France 2006 - ISBN 2715225202
Ecriture → Langue → Verbe

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