Patricia Godi nous offre ici des études documentées sur la poésie de
Anne Sexton (1928-1974), dont elle avait préfacé le recueil "Tu vis où
tu meurs" traduit par Sabine Huynh, recueil qu'il faut avoir à proximité
pour lire ce livre.
C'est un outil remarquable pour approfondir la lecture de cette œuvre
originale commencée comme une psychothérapie, continuée comme une lutte
et contenant les prémisses des combats féministes à venir.
Godi explore ainsi les liens de cette écriture avec l'expérience
psychiatrique et psychanalytique de Sexton, les liens de l'œuvre avec
l'expérience de la dépression suicidaire mais aussi avec la place que
pouvait tenir une femme rebelle dans la société américaine des années
cinquante.
L'écriture devient ainsi un contenant psychique de la folie,
mais aussi un lieu langagier de lutte pour la vie et de reconstruction
de soi.
Il est montré dans ce livre que la poésie de Sexton n'est pas que
l'écriture de la pathologie et de la vulnérabilité et des mises à
l'épreuve du corps féminin, mais qu'elle est aussi exploration d'un
"être-femme" progressivement redécouvert, préfigurant les mouvement de
libération des femmes des années 70. (p. 194)
La poésie de Sexton est puissante et fascinante, les commentaires et
études de Patricia Godi sont instructifs et passionnants.
Un prochain volume de poésies de Anne Sexton va bientôt paraître aux
éditions des femmes, d'autres suivront en 2024.
------------------------------------------
A DIT LA POÉTESSE À SON ANALYSTE
Mon affaire, ce sont les mots. Les mots sont comme des étiquettes,
ou des pièces de monnaie, ou mieux, un essaim d'abeilles.
J'avoue que seules les sources des choses arrivent à me briser ;
comme si les mots étaient comptés telles des abeilles mortes dans le
grenier,
détachées de leurs yeux jaunes et de leurs ailes sèches.
Je dois toujours oublier comment un mot est capable d'en choisir
un autre, d'en façonner un autre, jusqu'à ce que j'aie
quelque chose que j'aurais pu dire...
mais sans l'avoir fait.
Votre affaire, c'est de surveiller mes mots. Mais moi
je n'admets rien. Je travaille avec ce que j'ai de mieux,par exemple,
quand je parviens à écrire l'éloge d'une machine à sous,
cette nuit-là dans le Nevada: en racontant comment le jackpot magique
est arrivé alors que trois cloches claquetaient sur l'écran de la
chance.
Mais si vous disiez de cette chose qu'elle n'existe pas,
alors je perdrais mes moyens, en me rappelant la drôle de sensation
dans mes mains, ridicules et encombrées par tout
l'argent de la crédulité.
Traduction Sabine Huynh
Godi, Patricia - Anne Sexton, poète de la vie - L'Harmattan 2016
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire