mardi 16 janvier 2024

Sexton, Huynh & Godi

Patricia Godi nous offre ici des études documentées sur la poésie de Anne Sexton (1928-1974), dont elle avait préfacé le recueil "Tu vis où tu meurs" traduit par Sabine Huynh, recueil qu'il faut avoir à proximité pour lire ce livre. 
C'est un outil remarquable pour approfondir la lecture de cette œuvre originale commencée comme une psychothérapie, continuée comme une lutte et contenant les prémisses des combats féministes à venir. Godi explore ainsi les liens de cette écriture avec l'expérience psychiatrique et psychanalytique de Sexton, les liens de l'œuvre avec l'expérience de la dépression suicidaire mais aussi avec la place que pouvait tenir une femme rebelle dans la société américaine des années cinquante. 
L'écriture devient ainsi un contenant psychique de la folie, mais aussi un lieu langagier de lutte pour la vie et de reconstruction de soi. Il est montré dans ce livre que la poésie de Sexton n'est pas que l'écriture de la pathologie et de la vulnérabilité et des mises à l'épreuve du corps féminin, mais qu'elle est aussi exploration d'un "être-femme" progressivement redécouvert, préfigurant les mouvement de libération des femmes des années 70. (p. 194) 
La poésie de Sexton est puissante et fascinante, les commentaires et études de Patricia Godi sont instructifs et passionnants. Un prochain volume de poésies de Anne Sexton va bientôt paraître aux éditions des femmes, d'autres suivront en 2024. 
 
 ------------------------------------------ A DIT LA POÉTESSE À SON ANALYSTE 
Mon affaire, ce sont les mots. Les mots sont comme des étiquettes, ou des pièces de monnaie, ou mieux, un essaim d'abeilles. J'avoue que seules les sources des choses arrivent à me briser ; comme si les mots étaient comptés telles des abeilles mortes dans le grenier, détachées de leurs yeux jaunes et de leurs ailes sèches. Je dois toujours oublier comment un mot est capable d'en choisir un autre, d'en façonner un autre, jusqu'à ce que j'aie quelque chose que j'aurais pu dire... mais sans l'avoir fait. Votre affaire, c'est de surveiller mes mots. Mais moi je n'admets rien. Je travaille avec ce que j'ai de mieux,par exemple, quand je parviens à écrire l'éloge d'une machine à sous, cette nuit-là dans le Nevada: en racontant comment le jackpot magique est arrivé alors que trois cloches claquetaient sur l'écran de la chance. Mais si vous disiez de cette chose qu'elle n'existe pas, alors je perdrais mes moyens, en me rappelant la drôle de sensation dans mes mains, ridicules et encombrées par tout l'argent de la crédulité. Traduction Sabine Huynh 
 
Godi, Patricia - Anne Sexton, poète de la vie - L'Harmattan 2016
 
 

 

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