dimanche 25 août 2024

Expériences des limites 1

Avec "Des  îles. Lesbos 2020. Canaries 2021.", Marie Cosnay nous propose le premier livre de sa trilogie consacrée aux migrants européens, à l'exil vers l'occident. 

L'écrivaine, qu'on connaît comme auteure de romans et de poésie et traductrice des "Métamorphoses" d'Ovide, écrit ici un livre frontière à propos des limites de l'Europe.  Les migrants posent des questions dérangeantes à l'Europe, le livre de Cosnay offre un texte dérangeant à ses lecteurs. Elle fait entrer en littérature la question politique de l'exil vers l'Europe : mais comme il s'agit d'abord d'histoires humaines singulières, la façon d'écrire sur le sujet va elle aussi être singulière. 

C'est comme une recherche hésitante, l'écriture semble être une métaphore de l'errance des migrants dont elle parle, passant du constat journalistique à la réflexion politique, de la description poétique au récit dramatique, perdant les mots quand le réel devient vraiment impossible, réduisant la parole à la simple énumération. 

Certains fragments dérangent sciemment la fluidité de la lecture : "On dirait un lange vide, le bébé est si petit... Il vaut mieux que ça ne se sache pas, pas tout, pas trop... Les petits garçons dormaient dans le cimetière de la ville, depuis que le prêtre avait fermé l'église... On est déjà morts, qu'est-ce qui pourrait nous tuer encore ?... Le papa pêchait, elle (la petite fille) était sur le bateau, ils ont ramené trois corps. L'un n'avait plus de tête... Si elle n'avait rien, si elle a tout perdu, personne ne saura jamais ce qui lui est arrivé... Soit elle n'est pas en vie, soit elle est restée dans le naufrage... Nul ne saura que je suis resté au fond de l'eau... Tant qu'on cherche quelqu'un, il est vivant..." 

Avec la description du camp de Mória (à Lesbos), avec le mot "camp" réitéré, on découvre que l'histoire se répète, que personne ne tire les leçons de l'histoire ; que l'histoire des historiens échoue à servir à quelque chose, que la phrase "Plus jamais ça" n'a jamais été autre chose qu'un vœux pieux. 

Ces camps, occupés à quarante pour cent par des enfants... Paul Valéry, dans le cimetière marin de Sète, contemple une méditerranée qui est elle-même devenue un tombeau. 

Mais que peut la littérature ? Sans doute chercher les mots, les formes de langage qui nous manquent pour décrire l'indicible, et tenter ainsi une approche de la réalité, un dévoilement de la vérité. C'est ce qu'essaie Marie Cosnay, avec un certain courage, non seulement dans l'écriture mais aussi dans l'engagement physique et politique, le lecteur lui en est reconnaissant.

Cosnay 2020 - 2021

 

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