Le narrateur, après la tempête de 1999, montre un symptôme
ressemblant à l'hallucination négative : il voit les choses
en transparence. Il indique aussitôt qu'il n'en est pas de même
pour les pensées et les émotions.
Cette opacité est
celle de son incapacité à éprouver et exprimer des émotions après
le décès de sa mère survenu quelques semaines plus tôt, mais les
souvenirs réapparaissent.
Le rappel est le récit d'un
vécu d'injustice alors qu'il était enfant, qui laisse se déployer
une prose poétique dans laquelle l'apparition de l'humour vient
atténuer les désillusions. Un habile saut de suspense entrecoupé
par de brèves considérations sur la meilleure façon de se suicider
amène à la défenestration du philosophe Gilles Deleuze qui a plus
affecté le narrateur que la mort de ses propres parents.
La
chute qui se déploie à l'infini telle "la distance
parcourue par la flèche de Zénon" mène dans un jardin, ou
bien en compagnie de Mrs Dalloway chez Virginia Woolf, ou bien chez
Hitchcock dans Vertigo, à moins qu'on ne se réfugie dans
"Quelque-chose noir" de Jacques Roubaud.
La
prose élégante et pudique de Claro tient à distance l'émotion
toujours présente en arrière plan, atténuée par le recours à
l'humour et à la culture ainsi que par le style poétique : il
s'agit pourtant de failles béantes concernant le deuil et le
sentiment d'abandon mais la littérature semble être là pour les
colmater, du moins en partie.
Le temps sert aussi la mise
à distance : Claro revient, vingt-cinq ans après les faits, à la
veine biographique de son œuvre qu'il avait si bien explorée dans
"La maison indigène". Il invente l'hallucination
négative à rebours, imaginant dans une chute inversée que ses
géniteurs sont le fruit de ses pensées et citant Laura Vasquez
à-propos des choses transparentes.
Le choc du retour à
la réalité le ramène à l'écriture : Claro nous parle de sa
machine à écrire, disserte sur le langage à propos de l'essence du
chien, évoque ses difficultés à écrire après la tempête et
croit se trouver une filiation artistique chez un poète hongrois
inconnu. Il invite Dylan Thomas, Rimbaud et Charles Baudelaire pour
évoquer son père et l'alcoolisme, et l'écriture semble mimer les
errances et hésitations de l'ivresse et quand la confusion règne,
c'est à Victor Hugo qu'il fait appel.
L'enquête de Claro
finit par le ramener à un livre de son enfance. À sa façon, il ne
cesse de s'interroger sur ce qu'est sa vie d'écrivain et peut-être
de penser comme Proust que "la vraie vie, la vie enfin
éclaircie..."
Christophe Claro - Des milliers
de ronds dans l'eau - Actes Sud 2025
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