jeudi 9 janvier 2025

La vraie vie

Le narrateur, après la tempête de 1999, montre un symptôme ressemblant à l'hallucination négative : il voit les choses en transparence. Il indique aussitôt qu'il n'en est pas de même pour les pensées et les émotions.

Cette opacité est celle de son incapacité à éprouver et exprimer des émotions après le décès de sa mère survenu quelques semaines plus tôt, mais les souvenirs réapparaissent.

Le rappel est le récit d'un vécu d'injustice alors qu'il était enfant, qui laisse se déployer une prose poétique dans laquelle l'apparition de l'humour vient atténuer les désillusions. Un habile saut de suspense entrecoupé par de brèves considérations sur la meilleure façon de se suicider amène à la défenestration du philosophe Gilles Deleuze qui a plus affecté le narrateur que la mort de ses propres parents.

La chute qui se déploie à l'infini telle "la distance parcourue par la flèche de Zénon" mène dans un jardin, ou bien en compagnie de Mrs Dalloway chez Virginia Woolf, ou bien chez Hitchcock dans Vertigo, à moins qu'on ne se réfugie dans "Quelque-chose noir" de Jacques Roubaud.

La prose élégante et pudique de Claro tient à distance l'émotion toujours présente en arrière plan, atténuée par le recours à l'humour et à la culture ainsi que par le style poétique : il s'agit pourtant de failles béantes concernant le deuil et le sentiment d'abandon mais la littérature semble être là pour les colmater, du moins en partie.

Le temps sert aussi la mise à distance : Claro revient, vingt-cinq ans après les faits, à la veine biographique de son œuvre qu'il avait si bien explorée dans "La maison indigène". Il invente l'hallucination négative à rebours, imaginant dans une chute inversée que ses géniteurs sont le fruit de ses pensées et citant Laura Vasquez à-propos des choses transparentes.

Le choc du retour à la réalité le ramène à l'écriture : Claro nous parle de sa machine à écrire, disserte sur le langage à propos de l'essence du chien, évoque ses difficultés à écrire après la tempête et croit se trouver une filiation artistique chez un poète hongrois inconnu. Il invite Dylan Thomas, Rimbaud et Charles Baudelaire pour évoquer son père et l'alcoolisme, et l'écriture semble mimer les errances et hésitations de l'ivresse et quand la confusion règne, c'est à Victor Hugo qu'il fait appel.

L'enquête de Claro finit par le ramener à un livre de son enfance. À sa façon, il ne cesse de s'interroger sur ce qu'est sa vie d'écrivain et peut-être de penser comme Proust que "la vraie vie, la vie enfin éclaircie..."


Christophe Claro - Des milliers de ronds dans l'eau - Actes Sud 2025

 

Claro 2025

 




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