Ce
livre s'offre d'abord comme un paradoxe puisqu'il y est question de
réussir à échouer.
Avec un humour réservé convoquant
de nombreuses références littéraires discrètes voire masquées,
Claro interroge en poète et traducteur le langage poétique et
littéraire en commençant avec le verbe faillir.
En
conteur réjouissant, il joue aux échecs avec son lecteur, dans une
ballade plaisante mais pas superficielle puisqu'elle nous fait
réfléchir sur la langue, sur l'écriture, la traduction et la
lecture en prenant des exemples dans sa pratique d'écrivain et celle
d'autres auteurs : Baudelaire, Flaubert, Shakespeare, Malcolm Lowry
et bien d'autres, sans oublier Perec qui semble innerver tout le
livre...
Le jeu peut prendre un tour désopilant quand
l'auteur réécrit - en y insérant le mot "échec" - les
incipits célèbres de grands romans (on le note pour les lecteurs
pressés, dans l'ordre d'apparition : Proust, Céline, Paul Nizan,
Rousseau, Diderot, de Gaulle, Nabokov, Hemingway, Camus, Molière,
Queneau, Rousseau encore, Austen, Giono, Woolf, la Bible). Seulement
deux femmes dans le lot, Claro encore un effort...
Mais
autour de ce passage jubilatoire, l'ensemble garde un esprit de
sérieux construisant une belle réflexion sur l'art d'écrire (avec
Kafka, Benjamin, Pessoa, Cocteau...), de traduire et sur le métier
d'écrivain, même si l'auteur nous convie à d'autres jeux subtils
et malicieux comme réécrire les " Notes de chevet"
de la délicieuse Sei Shōnagon ou décrypter les structures
élémentaires de l'échec ou encore nous livrer les fragments d'une
nouvelle cruelle ou encore écrire "une ritournelle de
l'opaque".
Et l'on se reconnaît bien dans cet
étonnant chapitre sur la lecture dans lequel Claro nous démontre,
en convoquant Proust et quelques autres, qu'il ne sait pas lire !
Mais cela ne résiste pas à l'humour : "Persévérer dans un
livre qui résiste, c'est aussi faire l'expérience d'une traversée
crépusculaire, quand le sens semble déjà disparaître derrière
l'horizon des mots, et que ces derniers prennent sur eux de restituer
toutes les couleurs du couchant (cette métaphore poétique vous est
offerte par la société Claro Ltd.)"
Claro réussit donc à échouer et même à laisser apparaître l'émotion à la fin de son livre. Le lecteur comblé, à la fin de cette lecture, ne se sent plus coupable, comme d'habitude, d'échouer à écrire une recension digne de ce nom.
Christophe Claro - L'échec. Comment échouer mieux - Éditions Autrement 2024
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