Lier les lieux, élargir l'espace. Anne Savelli
Avec
ses ailes déployées, Anne Savelli nous offre un beau titre pour son
livre et nous invite à la suivre dans ses propres espaces qui vont à
la rencontre de ceux de Perec. Elle commence fort avec Proust,
Balzac, Duras et Woolf, mais c'est pour mieux expliquer ce qui lui
permet d'écrire. Les lieux lancent un appel et déterminent une
posture de l'auteure, qui se met aux aguets, "se dilue de
place en place" pour examiner "le lieu de l'absence, de
l'abandon, de l'oubli, du possible".
"Je devine simplement qu'un agencement existe, nous permettant d'écrire."
Ce lien entre espace et écriture, Anne Savelli en a l'expérience, l'a déjà exploré dans d'autres livres, sans que l'on puisse réduire ceux-ci à ce thème. Dans « Fenêtres, Open space » (Le mot et le reste, 2007), elle explorait le monde à partir de la ligne 2 du métro parisien, trajet pendant lequel elle lisait « Penser/classer » de Perec, mais aussi « La Vie mode d'emploi » sur le même trajet auparavant. Dans « Franck » - portrait d'un jeune homme par lieux - (Stock, 2010), elle explorait autobiographiquement les lieux de l'enfermement et de la violence sociale et relie son roman à « Un homme qui dort ». Dans « Décor Lafayette » (Inculte, 2013), c'est le grand magasin qui est le lieu d'un langage qui élargit le propos à la notion de décor ; dans « Saint-Germain-en-Laye » (L'attente, 2019), c'est la ville en surplomb qui permet de continuer les explorations entamées avec les arrêts sur image dans « Décor Daguerre » et l'autorise à parler de sa mère lisant Perec dans le RER ; dans « Île ronde », c'est le personnage Dita Kepler qui fait le tour d'une l'île légendaire…
"...
se lier au lieu, c'est réduire ou élargir un cercle, s'y inclure et
s'y oublier."
Anne Savelli évoque les auteur(e)s
qui l'ont influencée : Marcel Proust, Jean Genet, Violette Leduc et
Janet Frame, pour dire quelle lectrice ils ont fait d'elle. Quand à
Georges Perec, elle indique : "...comme tout le monde, j'ai
compris que c'était à moi qu'il parlait". Comme tout le
monde, c'est vite dit : tout lecteur des textes de Perec n'est pas
capable d'écrire les livres de Savelli…
Anne Savelli
nous parle donc en toute simplicité de sa découverte de "La
vie mode d'emploi" et des photographies et apparitions
télévisuelles de Perec avec son manteau à bouclettes, pour mieux
s'engager dans la description de la rue de l'Atlas qui lui est
familière mais qui est aussi le lieu de naissance de Perec, (Villa
Annette au N°6) une promenade dans laquelle s'entrecroisent des
fragments biographiques des deux auteurs.
Elle indique aussi comment ont pu se croiser l'écriture de certains de ses livres avec celle des livres de Perec et comment les espaces, les lieux gardent la mémoire de ce qu'elle fut à différents moments de vie. Elle décrit aussi comment la lecture de Perec lui a appris à écrire sur l'infra-ordinaire, sur "ce qui se passe vraiment, ce que nous vivons, le reste..." et comment "les romans et les films ajoutent des pièces à nos appartements, des dépendances à nos lieux d'écriture".
L'entrelacement (j'ai déjà employé l'image du caducée d'Hermès à propos de W ou le souvenir d'enfance) nous a amené à bifurquer d'un atelier lecture Perec à un atelier lecture Savelli : on ne s'en plaint pas.
Incidemment,
il nous plaît d'apprendre (Wikipédia) que cette rue de l'Atlas
intègre une allée Pernette-du-Guillet. Il y a aussi le passage de
l'Atlas, en forme de U, qui aurait pu plaire à Jacques Roubaud.
Ce
qui nous touche, c'est que Savelli, en entrelaçant (un procédé
cher à Perec) deux vies, deux vécus de l'espace, esquisse un
portrait intime de Perec à travers ses lieux, qui est presque un
autoportrait de Savelli en Perec. À moins que ce ne soit l'inverse,
allez savoir…
Un
lecteur attend, place ***, que la pluie cesse de tomber, et la
publication de la prochaine œuvre de Anne Savelli : Bruits.
Ce
livre est le N°6 sur 53 de la collection Dire son Perec des éditions
L'OEil ébloui.
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