lundi 28 avril 2025

Les Œuvres liquides – Pierre Vinclair

 Les Œuvres liquides – Pierre Vinclair - Flammarion 2025


Pourquoi écrirais-je sur le livre de Pierre Vinclair, alors que c'est si difficile d'écrire sur la poésie et que d'autres le font beaucoup mieux que moi, notamment sur l'Internet (voir les liens ci-dessous). Parce que c'est mon boulot de lecteur blogueur de faire le passeur pour les livres que j'aime, en signe de reconnaissance envers les auteurs, même sous la forme modeste d'une note simple.


Le risque dans cet exercice, c'est d'en rester au commentaire savant oubliant la poésie ou, comme dans beaucoup de préfaces, de ne proposer qu'une paraphrase pseudo-poétique du texte commenté.



Le texte de Vinclair évoque la musique, le jazz, Stravinsky plus loin et cela va bien avec le rythme cadencé du début du livre, cela lui permet d'aborder la question du temps avec les objets qui disparaissent et la peur d'être abandonné par les choses, n'oubliant pas le manque de pérennité des livres et des êtres. Il y a là comme une inquiétude, une préoccupation qui ne verse pas pour autant dans l’abattement ou le pessimisme, mais ouvre la possibilité du feu de la poésie.



Ce grand fleuve poétique est porteur de l'image du temps hériclatéen, comme nous le rappelle l'exergue. On ne s'y baigne pas deux fois dans le même poème : Vinclair indique - dans un entretien sur France Culture - son peu de goût pour une poésie qui coulerait dans le vers libre de manière monotone et préfère être le ciel creusant une musique complexe et variée.



Oui, Stravinsky, l'explorateur de toutes les formes de la musique : c'est sa période jazz qui résonne en mémoire en lisant cette poésie, celle de Ragtime et de l'Ebony concerto, mais aussi les contretemps de la Symphonie en trois mouvements (1946), surtout dans les premier et troisième mouvements.


"Le sens est un personnage du poème"


La référence - arrivant rapidement - à Hölderlin paraît logique dans un ouvrage qui esquisse l'épopée d'un grand fleuve comme le Rhône et semble naturelle chez un poète qui est aussi philosophe. Les lecteurs savants pourront peut-être chercher si cela implique des enjeux théoriques ou rhétoriques pour ce texte. On se contentera ici de rêver aux bords du Rhône, mais aussi à des rives qui nous sont plus familières, celles de la Dordogne, de la Gironde, du Neckar, de la Bidassoa ; et de se laisser porter par le grand rythme de ce fleuve poétique.



La manière dont sont agencés l'espace de la page, la typographie, mais aussi la forme des poèmes attire bien sûr l'attention, joue à surprendre le lecteur. Des sonnets, des tercets progressifs, des morceaux de prose poétique et bien d'autres formes basées sur des contraintes d'écriture invisibles (les 42 caractères de chaque vers du dernier poème) embrassent la complexité et la variété du réel, comme des pinceaux de différentes formes aptes à appliquer toutes les couleurs du monde.


"J'ai l’impression que ce qu’il se passe dans la poésie, c’est un rapport charnel à la langue. Si on en reste au vers libre ou à la prose découpée, c’est pauvre et répétitif, comme si on faisait tout le temps l’amour en missionnaire."


Des personnes sont décrites, racontées, évoquées dans ce livre et cette proximité avec l'humain est touchante, on ne sait pas le dire autrement. Au milieu de son livre, Vinclair invite (en découpant ses textes !) le poète Yves di Manno : on pense à Montaigne incluant dans ses Essais les poèmes de son ami La Boétie. La poésie savante de Vinclair n'oublie pas d'être axée vers les autres, les proches, la famille, ses lecteurs et bien qu'elle (re)cèle des complexités formelles et de sens, on ne se trouve pas rejeté sur ses rives.


« ...des lieux, des personnes, des évènements et des structures »


Ce mélange entre des formes élégiaques pluri-structurées et des contenus quotidiens, prosaïques voire triviaux, on se demande s'il doit quelque chose au grand souffle de la poésie moderniste américaine, aux Cantos de Pound ou à Paterson de William Carlos William.
Mais sans doute a-t-on là divagations de lecteur rêveur erratique : la variété des plaisirs est à l’œuvre dans cette somme poétique, on lit même un texte disparaissant au profit des notes de bas de page et finissant par ressembler à un recueil d'aphorismes situationnistes ; sans oublier que l'Oulipo perecquien semble observer tout cela d'un œil intéressé.



Vinclair n'hésite pas à ancrer un peu plus son poème dans l'histoire vers la fin de l'ouvrage en évoquant la Commune, comme il l'avait fait au début du livre en parlant de la guerre d'Algérie. Le temps, les êtres, les objets, les formes : la poésie de Pierre Vinclair s'insurge à sa manière contre la société liquide telle que décrite par Bauman. S'y déploie un art de la proximité qui pourrait bien dessiner un nouvel humanisme, ou tout du moins en ouvrir une possibilité, grâce au langage poétique.


Pierre Vinclair 2025



Le site de Pierre Vinclair : https://pierrevinclair.com/


L’entretien avec Pierre Vinclair sur France-Culture : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-midis-de-culture/pierre-vinclair-poete-pour-les-oeuvres-liquides-6611875


Une recension sur Anath & Nosfé : https://anathnosfe.fr/2025/04/06/poesie-du-dimanche-12-pierre-vinclair-les-oeuvres-liquides/


Une autre recension sur Sitaudis : https://www.sitaudis.fr/Parutions/pierre-vinclair-les-oeuvres-liquides-1743566499.php


Fabula parle de « La forme du reste » : https://www.fabula.org/revue/document19501.php


Sitaudis parle de « Apollinaire. La beauté de toutes nos douleurs » : https://www.sitaudis.fr/Parutions/guillaume-apollinaire-la-beaute-de-toutes-nos-douleurs-1741415832.php

Stravinsky Boulez



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