Bon, on se doute bien qu'il ne s'agit pas d'un guide touristique. On
entre tout de suite dans une expérience langagière inédite par le
biais d'une "phrase assassine" qui se déploie
poétiquement dans l'espace - comme un papillon - pour nous faire
entrer dans la bibliothèque d'une enfant qui joue déjà avec les
mots.
L'espace, comme dans d'autres livres de Anne Savelli
est le sujet de ce récit, mais aussi le temps : le texte parle d'une
mère et de sa fille, d'une ville où l'histoire est omniprésente,
d'un retour après dix ans passés. Le social est aussi évoqué à
travers les thèmes des inégalités, de la précarité, du mépris
social, de la place des femmes dans le vécu urbain.
Formellement,
on lit de courts textes entrecoupés de pages en gros caractères
reprenant un descriptif de la ville. Ce texte, qui commence en nous
parlant d'un livre, est le témoin de ce que peut faire au langage le
rapport à un lieu : les choses changent les mots aussi, les drames
reviennent à la surface aussi bien que les souvenirs du quotidien
banal ; les évènements de l'histoire se colorent autrement,
prennent d'autres significations ; les apparences peinent à masquer
une réalité moins glorieuse et les masques tombent quand la
littérature les met en scène.
On est en droit de penser
que ce texte s'inscrit dans une filiation perecquienne, mais on y
rencontre aussi Lewis Caroll, Raymond Queneau et allusivement
Apollinaire, Alexandre Dumas et Simone de Beauvoir. La vision parfois
un peu critique de la ville est atténuée par un final mis sous le
signe de la réconciliation, se terminant avec le beau verbe
ouvrir.
Dans le monde de sonneur, on a lu ce beau
texte après avoir pu se procurer le livre en occasion. Ce livre a
été publié en 2019 au moment de l'apparition du Covid 19 et sa
diffusion a fait les frais de cette coïncidence. Une surprise nous a
choqué après avoir vu le sceau de la Médiathèque de S.-G.-L. sur
la couverture, celle de découvrir à l’intérieur du livre le
tampon "Retiré des collections de la bibliothèque de
Saint-Germain-en-Laye". Les bibliothécaires ont-ils lu les
livres qu'ils désherbent ? S'il y a bien un texte qui devrait être
mis en avant dans cette ville, même six ans après sa parution,
c'est bien ce livre original dont un des lieux importants qu'il
décrit est... la médiathèque de Saint-Germain-en-Laye.
On
apprécierait l'ironie de l'histoire si la littérature ne souffrait
pas de modes de diffusion trop rapides ne considérant les livres que
comme des marchandises périssables, ce qui laisse peu de temps à la
littérature pour exister face à la copie au kilomètre. Voir à ce
sujet le texte de Claro intitulé « L'intolérable
légèreté de l'attente avant publication » sur son blog
Le Clavier Cannibale.
Anne Savelli. Saint-Germain-en-Laye. Éditions de l’Attente, 2019. ISBN 9782362420863