Idiotie (2018) est le quatrième livre autobiographique de Guyotat après Coma (2006), qui racontait sa descente aux enfers d’un moment de sa vie adulte ; Formation (2007) qui décrivait son enfance et les sources de son œuvre, et Arrière-fond 2010), consacré à l’année 1955.
On
retrouve ici l’écrivain en fuite à Paris en 1958 après la mort
de sa mère ; il a dix-huit ans, son père le fait rechercher par
un détective privé ; on est à la veille du retour de Charles de
Gaulle au pouvoir.
C’est
dans une belle langue classique que Guyotat décrit avec précision
les corps et leurs agitations, ainsi que sa vie de livreur en solex
et les rencontres afférentes ; une écriture laissant affleurer
l’émotion lorsqu’elle lui sert à rappeler le souvenir de sa
mère, et devenant littérature d’analyse lorsqu’il s’agit du
conflit avec son père ou de la description de la faim. L’errance
de Guyotat dans Paris n’a rien du romantisme que l’on prête
parfois à celle, vécue à la même époque et au même endroit, des
situationnistes.
Elle est en lien avec son besoin de créer, elle est imprégnée, à cause des vécus de sa famille, par le souvenir encore proche des camps de la mort, associée aux échos de la guerre d’Algérie qu’il s’apprête à découvrir car appelé pour le service militaire.
Dans
l’armée, il est tout de suite dans la révolte, désignant la
soumission, dénonçant l’ignorance, adoptant des comportements qui
le mènent tout droit et rapidement en prison, où il est sanglé et
fouetté sur un brancard. Parallèlement, il vient de signer sous
pseudonyme le contrat d’édition de son premier livre, car n’étant
pas majeur il n’a pas l’autorisation de son père d’utiliser
son nom.
La
photographie en couverture du volume Idiotie
– autoportrait
au miroir de Guyotat en jeune homme – est prise juste avant qu’il
ne soit arrêté et mis au cachot pour interrogatoires.
Il
ne cède pas, il a vingt-et-un ans. Il continue d’écrire et de
penser. Comme l’Algérie, il accède progressivement à
l’indépendance.
Il évoque la sensation de son idiotie de se sentir inférieur à ceux qui portent galons et dévoient la langue française : «… c’est de leur rumination que je ferai ma poésie future. »
Deux
pages saisissantes lui permettent de décrire le moment émouvant de
l’annonce de la mort de William Faulkner (6 juillet 1962), qui lui
donne l’occasion de lire quelques paragraphes du livre « Le
Domaine »
à ses camarades de chambrée, un vrai moment de grâce.
Les écrits autres que romanesques (autobiographiques, essais, articles, cours de langue française) de Guyotat nous font découvrir les capacités de cet auteur d’écrire dans une langue française classique somptueuse, ainsi que sa grande culture littéraire. Par contraste, face à ses écrits romanesques de plus en plus radicaux, on reconnaît la force de son entropie créative orientée vers une langue sauvage sans concessions.

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