dimanche 7 décembre 2025

Guyotat : portrait de l'artiste en jeune homme

Idiotie (2018) est le quatrième livre autobiographique de Guyotat après Coma (2006), qui racontait sa descente aux enfers d’un moment de sa vie adulte ; Formation (2007) qui décrivait son enfance et les sources de son œuvre, et Arrière-fond 2010), consacré à l’année 1955.


On retrouve ici l’écrivain en fuite à Paris en 1958 après la mort de sa mère ; il a dix-huit ans, son père le fait rechercher par un détective privé ; on est à la veille du retour de Charles de Gaulle au pouvoir.


C’est dans une belle langue classique que Guyotat décrit avec précision les corps et leurs agitations, ainsi que sa vie de livreur en solex et les rencontres afférentes ; une écriture laissant affleurer l’émotion lorsqu’elle lui sert à rappeler le souvenir de sa mère, et devenant littérature d’analyse lorsqu’il s’agit du conflit avec son père ou de la description de la faim. L’errance de Guyotat dans Paris n’a rien du romantisme que l’on prête parfois à celle, vécue à la même époque et au même endroit, des situationnistes.

Elle est en lien avec son besoin de créer, elle est imprégnée, à cause des vécus de sa famille, par le souvenir encore proche des camps de la mort, associée aux échos de la guerre d’Algérie qu’il s’apprête à découvrir car appelé pour le service militaire.


Dans l’armée, il est tout de suite dans la révolte, désignant la soumission, dénonçant l’ignorance, adoptant des comportements qui le mènent tout droit et rapidement en prison, où il est sanglé et fouetté sur un brancard. Parallèlement, il vient de signer sous pseudonyme le contrat d’édition de son premier livre, car n’étant pas majeur il n’a pas l’autorisation de son père d’utiliser son nom.


La photographie en couverture du volume
Idiotieautoportrait au miroir de Guyotat en jeune homme – est prise juste avant qu’il ne soit arrêté et mis au cachot pour interrogatoires.


Il ne cède pas, il a vingt-et-un ans. Il continue d’écrire et de penser. Comme l’Algérie, il accède progressivement à l’indépendance.

Il évoque la sensation de son idiotie de se sentir inférieur à ceux qui portent galons et dévoient la langue française : «… c’est de leur rumination que je ferai ma poésie future. »


Deux pages saisissantes lui permettent de décrire le moment émouvant de l’annonce de la mort de William Faulkner (6 juillet 1962), qui lui donne l’occasion de lire quelques paragraphes du livre « 
Le Domaine» à ses camarades de chambrée, un vrai moment de grâce.


Les écrits autres que romanesques (autobiographiques, essais, articles, cours de langue française) de Guyotat nous font découvrir les capacités de cet auteur d’écrire dans une langue française classique somptueuse, ainsi que sa grande culture littéraire. Par contraste, face à ses écrits romanesques de plus en plus radicaux, on reconnaît la force de son entropie créative orientée vers une langue sauvage sans concessions.

Guyotat - Idiotie - 2018


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