vendredi 13 juin 2025

La vie sociale de Jérôme Orsoni

Quand Jérôme Orsoni nous présente son roman, il le fait avec humour et ironie, raillant en passant un certain milieu littéraire, mais donnant aussi des indications sur la condition parfois peu enviable de l'écrivain contemporain. Ayant essayé de "dépayser la littérature française" auparavant, il nous dit aujourd'hui que La Vie sociale est "un roman franco-français, ou presque", mais on est pas certain de vouloir le prendre ici au pied de la lettre. Il résume son livre en indiquant : "c’est l’histoire d’un type qui part vivre dans une cabane dans la forêt parce qu’il ne supporte plus la vie à Paris et qui, dans cette forêt, découvre l’existence d’une étrange maison." mais bien sûr, les choses ne sont pas aussi simples. D'une manière plus abstraite, il précise que sa narration implique un : "dérèglement fantastique de la réalité qui l’éclaire d’un jour nouveau à la lueur duquel nous pouvons espérer y voir clair." Mais y verrons-plus clair pour autant après l'avoir lu ?

L'objet-livre a bien sûr attiré l'attention : une jaquette noire sans texte, ni titre ni nom d'auteur, seulement zébrée par une courbe dont on ne sait si c'est celle d'un graphique ou un éclair d'orage. 

Tout commence sous le signe du tempus fugit, dans une prose fuyante comme le temps, poétique et philosophique pourrait-on dire, mais au sens lui aussi fuyant et incertain, du moins dans un premier temps dans ces premières pages nommées à l'ombre de Walter Benjamin. Le thème du temps héraclitéen mène rapidement au défi : "...tout ce que tu peux faire, c'est échapper une seconde de plus à la mort" et part ensuite sur autre chose, un peu à la manière des associations libres.


Le narrateur ne se sent plus à sa place et essaie de ne pas sombrer et de rassembler ses idées, il trouve les autres dangereux, il a tendance à se dédoubler comme l'arbre dans sa cour et à contester la réalité : mais tout cela est allégé par le brin de folie qui court tout au long de ce texte, dans cette narration en permanence teintée d'ironie, une narration tendant à rendre abstraites les situations.


L'attitude du narrateur, son regard bizarre posé sur le monde, oscille entre le mécanisme de défense du côté de l'intellectualisation et le délire psychotique : elle l'empêche de voir les êtres et les choses, de se poser en phénoménologue suspendant son jugement. Quand apparaît le nom du compagnon de Unica Zürn, Hans Bellmer, on se demande dans quelle folie on est entraîné. Inutile de préciser que cela place ce texte dans le registre du roman, car il est ainsi impossible de confondre narrateur et auteur ayant le même prénom : Jérôme Orsoni, qui n'est pas Jérôme Orsoni, n'est pas fou.


Après l'histoire de Trophime Longbois l'écrivain qui brûlait ses manuscrits après les avoir écrits (beaucoup devraient en faire autant), une seconde surprise narrative (si l'on peut dire pour ce texte ou chaque phrase suivante est une surprise) est comme une récréation subtile. Il s'agit de l'insertion d'un chapitre contenant des réflexions philosophiques sur la musique (on se croirait par moments chez Adorno), en bonne compagnie : Arnold Shönberg et John Cage, Ludwig Wittgenstein et Bertrand Russel, Henry David Thoreau et Morton Feldmann, Nietzsche... C'est une rupture stylistique brillante avec ce qui précède permettant à l'auteur une digression savante élargissant le propos du roman, interrogeant le statut de l'art et de l'artiste... Logique est le saut : littéralement iconoclaste, le narrateur Jérôme a abandonné les images, la photographie, au profit du son, de la musique et de son corollaire le silence, en se dédoublant en son ami Paul.

Comme pour faire écho à la présence de Henry David Thoreau dans le chapitre précédent, on retrouve le narrateur Jérôme dans la forêt où il vient paradoxalement supprimer sa solitude. Premier accroc métaphysique, il y a deux chaises dans la cabane.

Deuxième problème, se relire : Jérôme retrouve un peu d'humanité lorsqu'il admet sa stupidité et son grain de folie et laisse le silence s'installer dans ses rêves. Mais le contact avec la nature lui permet de s'interroger sur le cycle de la vie. On est dans la forêt et comme dans les contes, on y trouve une maison : celle-ci n'est pas en sucre mais en béton, n'est pas un refuge mais fait plutôt office de contenant psychique dans lequel il est possible de projeter angoisses et fantasmes, dont la symétrie évoque à nouveau le dédoublement. Une maison dans laquelle Jérôme va trouver, comme Dante, sa Béatrice, plutôt qu'une Laure de Pétrarque, dans un moment de l'histoire qui vire au fantastique. Quand Jérôme perd le contact avec la réalité, l'écriture non ponctuée du courant de conscience réapparaît.


Orsoni nous a mené aux portes du rêve, aux limites de la perception, dans une narration étrange, teintée d'humour absurde et d'ironie et pourtant parfaitement logique. Non sans efforts au début, on se laisse entraîner dans cette prose poétique et philosophique, ironique et onirique, originale et marginale, pour une expérience de lecture effleurant des profondeurs inattendues. L’écriture généreuse d’Orsoni nous mène au bout d’une expérience radicale de la liberté ; la liberté du lecteur est de l’avoir appréciée jusqu’au bout.

 

Jérôme Orsoni - La vie sociale - Éditions Bakélite 2025 


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"Bruit

Qu'il n'y ait pas de solution de continuité entre le bruit, le silence et la musique est une idée irrecevable. Pour la plupart des gens, il faut des frontières bien tracées, grâce auxquelles chacun reste chez soi. Chacun est sommé de rester chez soi. S'il n'y a plus de hiatus, tout est mélangé, et les gens ont peur du mélange. La nature humaine a horreur du mélange. On se demande rarement pourquoi on a peur du mélange ou de n'importe quoi-, peut-être parce qu'on n'a pas confiance en soi, peut-être parce qu'on a peur de disparaître, peut-être parce qu'on a peur que plus personne ne s'intéresse à nous une fois que tout sera mélangé. Mais alors, il ne faut pas avoir peur de la disparition des frontières, mais de son manque cruel d'intérêt personnel.

Frontières 

Quand les frontières disparaissent, la vie apparaît. Partout."

 

Jérôme Orsoni - La vie sociale

 



 

















jeudi 12 juin 2025

L’homme-Jasmin

La narratrice demande, page dix-sept, "Que peut bien signifier tout cela ?" et indique page cinquante-quatre : "Presque tout ce qu'elle rencontre prend une étrange signification." Elle demande, un peu plus loin : "A-t-elle fait quelque chose d'insolite ?" alors qu'elle est en train de rentrer dans les greniers des maisons pour y chercher les personnages d'un roman.

Page soixante-cinq, un homme dit à son propos : "Ne voyez-vous pas que cette femme est folle ?"

On sait que Unica Zürn a côtoyé les surréalistes, Henri Michaux et a terminé sa vie en psychiatrie. Pour autant, il ne semble pas possible de réduire son récit maîtrisé à un exercice d'écriture automatique ou à un témoignage d'une personne atteinte de maladie mentale : il est sans doute un peu des deux, mais bien mieux que cela, de par la maîtrise stylistique et narrative qui fait de cet ouvrage, bien que déconcertant à plus d'un titre, une œuvre d'écrivain.

Lorsqu'elle rencontre des personnes folles, la narratrice commence de s'interroger sur sa propre santé mentale, semblant regarder les autres comme un miroir d'elle-même. La description des comportements des patients de l'hôpital psychiatrique devient un véritable reportage, une expérience qui lui fait se demander ce qu'elle a si obstinément espéré toute sa vie et l'amène à décrire sa propre dépression et une tentative de suicide.

À la sortie de l'hôpital, le retour des hallucinations donne des pages habitées proches du conte fantastique. Les vécus d'expériences de perceptions alternatives amènent un langage autre et offrent un espace étrange de lecture, avant le retour à l'asile.

"Mais elle a déjà à demi disparu dans l'abîme d'une nouvelle et profonde dépression, comme si c'était là la loi de sa maladie : quelques jours extraordinaires, quelques nuits pleines d'événements hallucinatoires, bouleversants, une brève envolée, la sensation d'être un personnage hors série, et puis par là-dessus la chute, le retour à la réalité où elle reconnaît ses illusions."

Le contraste est grand entre le contenu, le récit autobiographique de la folie, et la forme, une narration maîtrisée rédigée nécessairement  pendant les moments de lucidité. Cela augmente l'aspect tragique de ce livre, de cette histoire dont on sait qu'elle finira mal dans la réalité. Durant cette errance, on croise le nom du docteur Ferdière, dont personne n'a oublié qu'il était le psychiatre d'Antonin Artaud.


"Depuis hier je sais pourquoi je rédige ce livre : pour rester malade plus longtemps qu'il ne convient."

 

Ces "Impressions d'une malade mentale", c'est le sous-titre du livre, nous impressionnent : elles forment une expérience de lecture rare.


Le livre est traduit de l'allemand par Ruth Henry et Robert Valançay, il est préfacé par André Pieyre de Mandiargues, édition de 1971.

 

Unica Zürn -  L'Homme-Jasmin

 




 

samedi 24 mai 2025

Saint-Germain-en-Laye & Anne Savelli

Bon, on se doute bien qu'il ne s'agit pas d'un guide touristique. On entre tout de suite dans une expérience langagière inédite par le biais d'une "phrase assassine" qui se déploie poétiquement dans l'espace - comme un papillon - pour nous faire entrer dans la bibliothèque d'une enfant qui joue déjà avec les mots.

L'espace, comme dans d'autres livres de Anne Savelli est le sujet de ce récit, mais aussi le temps : le texte parle d'une mère et de sa fille, d'une ville où l'histoire est omniprésente, d'un retour après dix ans passés. Le social est aussi évoqué à travers les thèmes des inégalités, de la précarité, du mépris social, de la place des femmes dans le vécu urbain.

Formellement, on lit de courts textes entrecoupés de pages en gros caractères reprenant un descriptif de la ville. Ce texte, qui commence en nous parlant d'un livre, est le témoin de ce que peut faire au langage le rapport à un lieu : les choses changent les mots aussi, les drames reviennent à la surface aussi bien que les souvenirs du quotidien banal ; les évènements de l'histoire se colorent autrement, prennent d'autres significations ; les apparences peinent à masquer une réalité moins glorieuse et les masques tombent quand la littérature les met en scène.

On est en droit de penser que ce texte s'inscrit dans une filiation perecquienne, mais on y rencontre aussi Lewis Caroll, Raymond Queneau et allusivement Apollinaire, Alexandre Dumas et Simone de Beauvoir. La vision parfois un peu critique de la ville est atténuée par un final mis sous le signe de la réconciliation, se terminant avec le beau verbe ouvrir.

Dans le monde de sonneur, on a lu ce beau texte après avoir pu se procurer le livre en occasion. Ce livre a été publié en 2019 au moment de l'apparition du Covid 19 et sa diffusion a fait les frais de cette coïncidence. Une surprise nous a choqué après avoir vu le sceau de la Médiathèque de S.-G.-L. sur la couverture, celle de découvrir à l’intérieur du livre le tampon "Retiré des collections de la bibliothèque de Saint-Germain-en-Laye". Les bibliothécaires ont-ils lu les livres qu'ils désherbent ? S'il y a bien un texte qui devrait être mis en avant dans cette ville, même six ans après sa parution, c'est bien ce livre original dont un des lieux importants qu'il décrit est... la médiathèque de Saint-Germain-en-Laye.

On apprécierait l'ironie de l'histoire si la littérature ne souffrait pas de modes de diffusion trop rapides ne considérant les livres que comme des marchandises périssables, ce qui laisse peu de temps à la littérature pour exister face à la copie au kilomètre. Voir à ce sujet le texte de Claro intitulé « L'intolérable légèreté de l'attente avant publication » sur son blog Le Clavier Cannibale.


Anne Savelli. Saint-Germain-en-Laye. Éditions de l’Attente, 2019. ISBN 9782362420863

Anne Savelli 2019

 


vendredi 16 mai 2025

On a peur mais ça va

Le poème paraît s'ouvrir, dès la première phrase qui en est aussi le titre, sous le signe du déni de la peur, ou de la dénégation de l'angoisse : "on a peur mais ça va" peut faire penser à "jusqu'ici tout va bien", ou au "même pas peur » de l'enfance. La peur est là, laisse entrevoir le vide de la blessure ouverte, mais on va faire avec : le poème va nous dire comment.


Le texte se déploie en vers libres dans un chant moderne qui laisse
peut-être affleurer quelques traces de la versification classique (à moins que ce ne soit là l’inconscient du lecteur qui influence la lecture), se déploie dans le thème du corps, en particulier de la difficulté à respirer, dont le registre lexical trouve son rythme du côté de la répétition ainsi que d'une belle musicalité s'appuyant sur des assonances et allitérations qui entraînent le texte vers le chant.


Un chant qui intègre cette difficulté à respirer, en fait son moteur paradoxal, dans un espace ("
Ici") marqué par le silence.


Autre paradoxe apparent, l'eau - dont on croit savoir qu'elle est peu propice à la respiration - a été le lieu des transformations qui mèneront à reprendre son souffle, et à laisser apparaître le langage sous formes "
des choses dont on ne sait pas parler" et au morcellement, ou plutôt à la multiplication des corps. L'évolution, dont le drame se rejoue dans la néoténie, a laissé des traces, mais laisse naître - dans la surprise - la parole du poète, de l'enfant.


Le corps se morcelle dès qu'il peut être nommé, désuni et réuni par les mots qui échouent pourtant à tout dire et à contenir.
Après être sorti de l’eau, il peut même développer l’idée très bachelardienne de l’incorporation à la terre ou à la forêt, voire au feu et à la nuit.


Le poète se tourne alors vers l'étendue et vers le lien à l'autre pour décider, prendre conscience, admirer, épuiser, respirer. L'étonnement de pouvoir nommer le monde implique de se poser la question du "
comment dire", et de prendre conscience des insuffisances du langage, qui reste un code, une convention.


Mais, malgré tout, la respiration devenant langagière, le poème peut alors chanter le feu et l'attente, la nuit et la vie quotidienne et retrouver les questions de l'enfance : "
Est-ce que la mer déborde quand il pleut ?" pour mieux poser des questions de poète et faire face au réel.


On a peur, on a froid et on est fatigué, mais il y a le langage, les mots du poème pour résister, comprendre, prendre ensemble, laisser place à l'imprévu : "
on est sorti de terre à peine vivant / on ne veut pas y retourner avant de s'être mordu la langue".


C'est bien le langage - outil imparfait - dans sa capacité à nous relier aux autres et à organiser la respiration, qui vient nous sauver. C'est bien le poème qui vient nous sauver, nous faire avancer et progresser.

Voilà, c'est juste une lecture parmi d'autres possibles, qui ne prétend pas épuiser ce texte, qu'on a aimé lire dans le monde de sonneur, texte qui n’a pas pas dit son dernier mot à la relecture.



Andréa Thominot - On a peur mais ça va - Cheyne éditeur 2023, 2024, 2025 -
Prix de la Vocation 2023
 

Thominot 2025

 

samedi 3 mai 2025

Christine debout

Christine Jeanney - Bien assise. Histoires du ferry, du poulet, d'Henriette et de la répétition. - Tarmac éditions - Nancy 2025


Le mot "assise" du titre avec le dessin et la définition du fauteuil en couverture pourrait laisser entendre la notion de "confort", mais les choses ne vont pas être aussi simples.


L'autrice nous embarque dans un bloc de texte ininterrompu qui rapproche sa narration de la littérature du courant de conscience : peut-être doit-on voir là l'influence de Virginia Woolf, traduite par C. Jeanney.


La narratrice est aidante à distance de sa mère âgée qui "vit en théorie", une image saisissante pour faire comprendre les ravages de la perte d'autonomie. Le récit témoigne de ce que cela fait au langage que de perdre les repères spatiaux et temporels : "...au bout des fils défaits il y a le langage et tous les mots tombent dans la cabine interpersonnelle..." et se souvient des premières désillusions enfantines face aux mensonges des adultes. La leçon - pour la femme poète et écrivaine - est que : "mal nommer le monde c'est l'abîmer".


Se dessine ainsi une sorte de poétique du langage altéré de l'extrême vieillesse qui renvoie à une politique : "...cette société est en faillite", alors que la langue, les mots font " un travail de bêche" ; des mots qui conduisent à une forme de révolte onirique et lyrique.


"...je peux m'atteler à trouver du sens, c'est simple, pour trouver du sens, il suffit d'en chercher..." Face à une personne qui "tue les mots", la narratrice les revivifie dans une narration poétique qui témoigne d'une expérience à laquelle nous pouvons être tous confrontés, et se refuse à laisser mourir le langage.


Le fauteuil est le symbole de la pause, du repos après la tyrannie de la fuite des idées. La narration devient plus classique au deuxième chapitre, du moins dans la forme apparente et au début, et laisse apparaître - avec les souvenirs - une pointe d'humour : "...remplacer Tino Rossi par Mick Jagger...". La narratrice peut enfin nous parler de sa mère d'une manière plus apaisée quand celle-ci est accueillie dans un environnement plus protecteur : le fauteuil devient un contenant rassurant, même si c'est un fauteuil roulant.


Apparaît donc une référence à Virginia Woolf, comme si la narratrice cherchait à se rassurer sur sa capacité à raconter des histoires, ces histoires annoncées dans le sous-titre du livre et qui peuvent enfin se déployer parce que les ressorts du fauteuil - nous dit la narratrice avec humour - sont aussi des ressorts narratifs. Ces histoires qui sont des fragments de vie et de mémoire, comme les cailloux du Petit Poucet, des jalons posés là alors que la fin définitive du chemin est pourtant bien connue. Des bouts de langage qui maintiennent en vie, qui rappellent que la vie et la capacité à la raconter sont indissociables.

Christine Jeanney a su trouver les mots et les formes narratives pour habiter le monde poétiquement à propos d’un thème susceptible de nous concerner tous, et propose un texte d’autant plus émouvant qu’on est en droit d’en soupçonner l’inspiration autobiographique.

 

Jeanney 2025

 

Un autre compte-rendu de ce livre à lire ici.


jeudi 1 mai 2025

Perec le retour

Retour à cette partie d'échecs dont Perec nous propose le diagramme dans "La vie mode d'emploi" , page 447 de l'édition de poche, p. 379 du volume II de La Pléiade.

Il s'agit de la partie jouée par Anderssen et Dufresne en 1852, nommée par la tradition la "Toujours jeune" car faisant toujours l'objet de commentaires dans le milieu échiquéen. On peut lire le détail de cette partie ici, mais ça n'est pas notre propos.

Anderssen a les blancs et gagne par une série de coups implacables à partir du coup 19, alors qu'il est à un coup de perdre la partie (il suffirait que les noirs puissent mettre leur dame en G2) et qu'il terminera en ayant sacrifié bon nombre de ces pièces principales dont la dame.

Quel serait la structure du fantasme ? Il y a une dame blanche sacrifiée, et une dame noire a un coup d'être toute puissante. Le camp des noirs croit être en passe de gagner, mais se retrouve à ne pouvoir être que passif face à une série de coups l'obligeant à aller vers la défaite.

La toute puissante est celle qui se sacrifie, l'autre est dans l’illusion de la souveraineté. Le camp sombre est dans l'apparence trompeuse de la domination, mais se fait manipuler par le camp de la lumière, qui lève de manière inexorable l'hallucination.

C'est de l'acceptation de la castration symbolique, de la loi du langage et de la capacité à différer la satisfaction que provient la réalisation du désir, la maîtrise du temps et de l'espace.

Le monde blanc est celui qui ramène l'autre souterrain à la réalité de sa vulnérabilité, en ayant pourtant rêvé sa victoire, alors que l'autre n'a fait que la fantasmer. Je te montre sans coup férir que tu n'es pas tout puissant, que tu es dans l'illusion, dans l'hallucination du pouvoir. Je le fais en sacrifiant la part illusoire de la toute puissance, en me castrant symboliquement, mais je gagne à la fin. Qu'est-ce que je gagne, cela est une autre histoire...

Est-ce que tout cela nous révèle quelque chose sur Perec, sur son livre ? Non, sans doute : cela nous dit plutôt quelque chose sur la capacité du lecteur à divaguer, à faire fonctionner son imagination erratique en lisant : mais c'est la faute à Perec, devant son imagination débridée, le lecteur se sent autorisé à prendre les chemins qui ne mènent nulle part et à jouer avec lui.

 

Perec Pléiade vol. II


Perec Pléiade Vol .II page 379
La page 379 du volume II des Œuvres de Perec dans la bibliothèque de la Pléiade

 

Anderssen-Dufresne 1852 - position finale

Lorsqu'on observe la position finale (coup 23), on voit que la dame noire pourrait mettre le roi blanc échec et mat en un coup, en prenant le pion en G2 ou la tour blanche en D1. Elle est dans cette position depuis le coup 19, mais empêchée de conclure par la série de coups diaboliques réalisés par les blancs qui les mènent à mettre le roi noir échec et mat de manière élégante, avec deux fous soutenus par un pion, et en ayant sacrifié une tour, un cavalier et la dame.


lundi 28 avril 2025

Les Œuvres liquides – Pierre Vinclair

 Les Œuvres liquides – Pierre Vinclair - Flammarion 2025


Pourquoi écrirais-je sur le livre de Pierre Vinclair, alors que c'est si difficile d'écrire sur la poésie et que d'autres le font beaucoup mieux que moi, notamment sur l'Internet (voir les liens ci-dessous). Parce que c'est mon boulot de lecteur blogueur de faire le passeur pour les livres que j'aime, en signe de reconnaissance envers les auteurs, même sous la forme modeste d'une note simple.


Le risque dans cet exercice, c'est d'en rester au commentaire savant oubliant la poésie ou, comme dans beaucoup de préfaces, de ne proposer qu'une paraphrase pseudo-poétique du texte commenté.



Le texte de Vinclair évoque la musique, le jazz, Stravinsky plus loin et cela va bien avec le rythme cadencé du début du livre, cela lui permet d'aborder la question du temps avec les objets qui disparaissent et la peur d'être abandonné par les choses, n'oubliant pas le manque de pérennité des livres et des êtres. Il y a là comme une inquiétude, une préoccupation qui ne verse pas pour autant dans l’abattement ou le pessimisme, mais ouvre la possibilité du feu de la poésie.



Ce grand fleuve poétique est porteur de l'image du temps hériclatéen, comme nous le rappelle l'exergue. On ne s'y baigne pas deux fois dans le même poème : Vinclair indique - dans un entretien sur France Culture - son peu de goût pour une poésie qui coulerait dans le vers libre de manière monotone et préfère être le ciel creusant une musique complexe et variée.



Oui, Stravinsky, l'explorateur de toutes les formes de la musique : c'est sa période jazz qui résonne en mémoire en lisant cette poésie, celle de Ragtime et de l'Ebony concerto, mais aussi les contretemps de la Symphonie en trois mouvements (1946), surtout dans les premier et troisième mouvements.


"Le sens est un personnage du poème"


La référence - arrivant rapidement - à Hölderlin paraît logique dans un ouvrage qui esquisse l'épopée d'un grand fleuve comme le Rhône et semble naturelle chez un poète qui est aussi philosophe. Les lecteurs savants pourront peut-être chercher si cela implique des enjeux théoriques ou rhétoriques pour ce texte. On se contentera ici de rêver aux bords du Rhône, mais aussi à des rives qui nous sont plus familières, celles de la Dordogne, de la Gironde, du Neckar, de la Bidassoa ; et de se laisser porter par le grand rythme de ce fleuve poétique.



La manière dont sont agencés l'espace de la page, la typographie, mais aussi la forme des poèmes attire bien sûr l'attention, joue à surprendre le lecteur. Des sonnets, des tercets progressifs, des morceaux de prose poétique et bien d'autres formes basées sur des contraintes d'écriture invisibles (les 42 caractères de chaque vers du dernier poème) embrassent la complexité et la variété du réel, comme des pinceaux de différentes formes aptes à appliquer toutes les couleurs du monde.


"J'ai l’impression que ce qu’il se passe dans la poésie, c’est un rapport charnel à la langue. Si on en reste au vers libre ou à la prose découpée, c’est pauvre et répétitif, comme si on faisait tout le temps l’amour en missionnaire."


Des personnes sont décrites, racontées, évoquées dans ce livre et cette proximité avec l'humain est touchante, on ne sait pas le dire autrement. Au milieu de son livre, Vinclair invite (en découpant ses textes !) le poète Yves di Manno : on pense à Montaigne incluant dans ses Essais les poèmes de son ami La Boétie. La poésie savante de Vinclair n'oublie pas d'être axée vers les autres, les proches, la famille, ses lecteurs et bien qu'elle (re)cèle des complexités formelles et de sens, on ne se trouve pas rejeté sur ses rives.


« ...des lieux, des personnes, des évènements et des structures »


Ce mélange entre des formes élégiaques pluri-structurées et des contenus quotidiens, prosaïques voire triviaux, on se demande s'il doit quelque chose au grand souffle de la poésie moderniste américaine, aux Cantos de Pound ou à Paterson de William Carlos William.
Mais sans doute a-t-on là divagations de lecteur rêveur erratique : la variété des plaisirs est à l’œuvre dans cette somme poétique, on lit même un texte disparaissant au profit des notes de bas de page et finissant par ressembler à un recueil d'aphorismes situationnistes ; sans oublier que l'Oulipo perecquien semble observer tout cela d'un œil intéressé.



Vinclair n'hésite pas à ancrer un peu plus son poème dans l'histoire vers la fin de l'ouvrage en évoquant la Commune, comme il l'avait fait au début du livre en parlant de la guerre d'Algérie. Le temps, les êtres, les objets, les formes : la poésie de Pierre Vinclair s'insurge à sa manière contre la société liquide telle que décrite par Bauman. S'y déploie un art de la proximité qui pourrait bien dessiner un nouvel humanisme, ou tout du moins en ouvrir une possibilité, grâce au langage poétique.


Pierre Vinclair 2025



Le site de Pierre Vinclair : https://pierrevinclair.com/


L’entretien avec Pierre Vinclair sur France-Culture : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-midis-de-culture/pierre-vinclair-poete-pour-les-oeuvres-liquides-6611875


Une recension sur Anath & Nosfé : https://anathnosfe.fr/2025/04/06/poesie-du-dimanche-12-pierre-vinclair-les-oeuvres-liquides/


Une autre recension sur Sitaudis : https://www.sitaudis.fr/Parutions/pierre-vinclair-les-oeuvres-liquides-1743566499.php


Fabula parle de « La forme du reste » : https://www.fabula.org/revue/document19501.php


Sitaudis parle de « Apollinaire. La beauté de toutes nos douleurs » : https://www.sitaudis.fr/Parutions/guillaume-apollinaire-la-beaute-de-toutes-nos-douleurs-1741415832.php

Stravinsky Boulez



lundi 14 avril 2025

Espace Perec 2024 (Antonin Crenn)

Antonin Crenn - Terminus provisoire - L’œil ébloui N°7/53
 
Antonin Crenn commence son petit livre de 53 pages - comme le veut la collection - en reprenant la première phrase de "La vie mode d'emploi", cela pour mieux nous entraîner dans son texte à la beauté singulière, faisant d'une banlieue improbable (qui n'a d'existence que sous forme d'hapax dans l’œuvre de Perec) le centre du monde, y montrant ce qui s'y passe vraiment comme Perec le faisait dans "L'infra-ordinaire", ou en questionnant l'espace comme l'ami Georges pouvait le faire dans "Espèces d'espaces" ou "Lieux".

Antonin Crenn - qui se veut "narrateur d'une histoire qui est en train de s'inventer" - va plus loin que l'écrit expérimental pourrait le laisser espérer : il déploie l'éventail des souvenirs, de l'histoire, remonte jusqu'à l'enfance et laisse apparaître ce à quoi on ne s'attendait pas, l'émotion.

On pratique donc la lecture augmentée, comme il se doit au XXIème siècle, en allant voir sur les cartes de l'Internet, pour se rendre compte qu'on avait déjà surplombé ces lieux lors d'une visite des terrasses de St-Germain-en-Laye... Où les souvenirs du lecteur rencontrent ceux de l'auteur, au moins un peu : j'étais resté en surplomb pour visiter le curieux musée Maurice-Denis, je n'étais pas descendu vers la rue du Président Wilson et le hameau Alfred Sisley, vers cette ville "qui n'est pas le terminus, mais la salle d'attente, le repos provisoire avant la ville" où je n'irai jamais, sauf dans le beau livre de Antonin Crenn.

Les souvenirs de St-Germain-en-Laye, ce sera avec le livre de Anne Savelli que je les revisiterai.

 

Le livre d'Antonin Crenn est le N°7 sur 53 de la collection "Dire son Perec" des éditions l'Oeil ébloui. 



 

dimanche 13 avril 2025

Espace Perec 1978 (La Vie mode d’emploi)

Espace Perec 1978 (La Vie mode d’emploi)

On y trouve d'abord un petit traité de psychologie de la forme se transformant en manuel de résolution d'un puzzle (un ensemble, c'est-à-dire une forme, une structure) qui sera repris 270 pages plus loin, une petit traité qui est en vérité un art d'écrire « La vie mode d'emploi ».


On découvre ensuite un mort dont la vengeance lui survit, côtoyant la veuve d'un archéologue raté ayant cherché une cité aussi illusoire que légendaire et des pratiquants d'une secte méditant sur la recette de mousseline à la fraise dont Perec nous donne la recette.


Il n'y a personne au troisième droite : voilà déjà une pièce vide, un motif qu'on retrouvera en fin du roman. Suit une description du Tarande en français ancien par Gélon le Sarmate et d'un bahut sculpté par son propriétaire, donnant lieu à l'une des premières ekphrasis du roman, etc.


C'est bien connu, la prolifération d'objets, la multiplication de personnages, la profusion d'histoires sont l’une des caractéristiques de ce livre que Perec a sous-titré " Romans" au pluriel.


Dans l'Atlas de littérature potentielle (page 386), Perec indique que "En 1972, le projet qui allait devenir La vie mode d'emploi se décomposait en trois ébauches indépendantes, aussi floues l'une que l'autre." Il détaille ensuite quelques unes des structures mathématiques sur lesquelles son roman est construit.


Son imagination semble augmentée par ce cahier des charges oulipien complexe qui structure l’œuvre, qui se présente comme énigme par la référence aux puzzles ; on est en droit d'imaginer que la présence du nom Rorschash est peut-être une allusion au test d'évaluation éponyme (même si ça ne s'écrit pas tout-à-fait pareil à une lettre près), qui dans sa passation et son interprétation s'attache, comme Perec dans son livre, de manière obsessionnelle aux détails.


La propension aux digressions et aux transformations du texte peut faire penser à Sterne et à Potocki mais on n'y voit pas de filiation : Perec ne se contente pas de mettre à mal le roman classique, il construit un monde, élabore tout un univers bien ancré dans la critique sociale de son époque et nous livre du romanesque débridé et inventif malgré les contraintes volontaires d'écriture : en le lisant, on se moque donc des règles de la polygraphie du cavalier, de la pseudo-quenine d'ordre 10 ou du bi-carré latin orthogonal et on apprécie une lecture dans laquelle on se laisse entraîner dans mille et une histoires et fantaisies, drames et mini-épopées, biographies et catalogues, descriptions et rêveries…


Quand Perec écrit : "On en déduira quelque chose qui est sans doute l'ultime vérité du puzzle : en dépit des apparences, ce n'est pas un jeu solitaire: chaque geste que fait le poseur de puzzle, le faiseur de puzzle l'a fait avant lui ; chaque pièce qu'il prend et reprend, qu'il examine, qu'il caresse, chaque combinaison qu'il essaye et essaye encore, chaque tâtonnement, chaque intuition, chaque espoir, chaque découragement, ont été décidés, calculés, étudiés par l'autre", on ne peut s'empêcher de penser qu'il nous parle de lui et de son lecteur.


Le lecteur se demande quelle est la signification de ces digressions permanentes, qui semblent se multiplier au fur et à mesure que le roman avance. Ne peut-on les interpréter comme une fuite en avant, un évitement systématique de la narration linéaire et de son aboutissement ? Mais alors, qu'est-ce que Perec repousse ? Peut-être est-ce ce fameux paragraphe final mettant en scène Bartlebooth devant le dernier puzzle, une scène reliée à la biographie de Perec (la lettre W) : un moment à la fois poignant et terrifiant.


Le lieu de la dernière pièce vide du puzzle est un trou, une béance, un puits sans fond. La vie serait ce puzzle dont le dernier espace à combler ne correspondrait pas à la dernière pièce tenue en main.


On pourrait trouver là un sens au titre du livre : la vie ne se déploie que lorsqu'on peut la raconter, il n'y a vie que lorsqu'il y a narration. En cela, on pourrait relier cette œuvre avec la pensée de certains philosophes du XXème siècle (Paul Ricoeur) ou du suivant (Judith Butler).


Ce livre, à propos duquel on lit souvent que c'est le chef-d'œuvre de Perec, semble reprendre, résumer, concentrer de manière cohérente et magistrale l'ensemble des recherches entamées dans ses livres précédents.


Mais l'auteur a le génie de ne pas se laisser abuser par son propre jeu, comme c'est le cas pour son personnage Bartlebooth qui s'autodétruit dans un jeu sans fin dont il a oublié les règles. Perec maîtrise la mise et l'enjeu, pour écrire une œuvre romanesque majeure du XXème siècle, marquée par la perte et l'absence.


Le relire au terme provisoire d'un atelier-lecture-Perec nous ayant entraîné dans les profondeurs de son œuvre (avec lui et d'autres auteurs), c'est comme une récompense, une cerise sur le gâteau...


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L’atelier-lecture-Perec a consisté en une exploration systématique de son œuvre pendant plusieurs semaines, donnant lieu à une série de notes de lecture publiées sur mon blog « Les notes de sonneur ». C’est une manière de lire que je pratique de temps en temps, la dernière fois, c’était à propos de Virginia Woolf, avant avec Annie Ernaux. Cet atelier n’est pas définitivement clos, des pages pourront être modifiées, d’autres créées au fil des lectures et relectures…


On a lu pour cet atelier-lecture Perec :

Perec, Georges – Les Choses – Pocket 1965

Perec, Georges – Quel petit vélo au fond de la cour ? – 1966

Perec, Georges – Un homme qui dort –1967 - Folio Gallimard N°2197

Perec, Georges – La Disparition – 1969 - L’Imaginaire Gallimard N°215

Perec, Georges – Les Revenentes – 1972 - Julliard 1997

Perec, Georges – La boutique obscure – 1973 - L’Imaginaire Gallimard 2021

Perec, Georges – Espèces d’espaces – 1974 - Seuil La librairie du XXIème siècle – 2022

Perec, Georges – W ou le souvenir d’enfance – 1975 - L’Imaginaire Gallimard N°293

Perec, Georges – Je me souviens – 1978 - Le Livre de Poche 2013

Perec, Georges – La vie mode d’emploi – 1978 - Le Livre de Poche N°5341

Perec, Georges – La clôture et autres poèmes – 1978 – Édition de la Pléiade Vol.II

Perec, Georges – Un cabinet d’amateur – 1979 - Points Seuil N° P865

Perec, Georges – L’éternité – 1981 – Édition de la Pléiade vol.II

Perec, Georges – Tentative d’épuisement d’un lieu parisien – 1983 – C. Bourgois 2024

Perec, Georges – 53 jours – 1989 - P.O.L. 1989

Perec, Georges – L’infra-ordinaire – 1989 - Seuil, La librairie du XXIème siècle 1989

Perec, Georges – Je suis né – 1990 – Seuil, La librairie du XXème siècle 1990

Perec, Georges – Cantatrix sopranica L. – 1991 - Points Essais N°577

Perec, Georges – Le voyage d’hiver – 1993 - Seuil, La librairie du XXIème siècle 1993

Perec, Georges – Ellis Island – 1995 – P.O.L. 2019

Perec, Georges – Penser/Classer – 2003 - Points Seuil Essais N°760

Perec, Georges – L’art et la manière d’aborder son chef de service... – 2008 – Points 2010

Perec, Georges – Le Condottière – 2012 – Points Seuil 2012

Perec, Georges – Œuvres, tomes I et II – Bibliothèque de la Pléiade 2017


Perec, Georges – Lieux – 2022 - Seuil, La librairie du XXIème siècle 2022

Perec, Georges & al. – La littérature potentielle – 1973 – Folio Gallimard N° 95

Perec, Georges & al. – Atlas de littérature potentielle – 1981 – Folio Gallimard N° 109


Perec, Georges – Traduction de « Le naufrage du stade Odradek » de Harry Mathews – POL 1989

Bens, Jacques & Perec, Georges – 50 choses qu’il ne faudrait tout de même pas oublier de faire avant de mourir – L’Oeil ébloui 01/53 – Coll. Perec 53 – 2024

Bodin-Hullin, Thierry – Trajet Perec – L’Oeil ébloui 02/53 - Coll. Perec 53 – 2024


Bon, François – L’espace commence ainsi – L’Oeil ébloui 03/53 – Coll. Perec 53 – 2024

Yokna – Permutation – L’Oeil ébloui 04/53 - Coll. Perec 53 – 2024


Claro, Christophe – Une seule lettre vous manque – L’oeil ébloui 05/53 – Coll. Perec 53 - 2024


Savelli, Anne – Lier les lieux élargir l’espace – L’œil ébloui 06/53 – Coll. Perec 53 – 2024

Crenn, Antonin – Terminus provisoire – L’oeil ébloui 08/53 – Coll. Perec 53 - 2024

Getzler, Pierre – Place Saint-sulpice les 18 & 19 octobre 1974 - L’Oeil ébloui 08/53 – Coll. Perec 53 – 2025


Coiffier, Sophie – L’éternité comme un jeu de taquin – L’Oeil ébloui 09/53 - Coll. Perec 53 – 2025

Bailly, Jean-Louis – Le timbre à un franc - L’Oeil ébloui 10/53 - Coll. Perec 53 – 2025


Bellos, David – Georges Perec, une vie dans les mots – Seuil biographie 2022



Documents audio-visuels consultés :


Film « En remontant la rue Vilin » de Robert Bober, 1992 :  

https://youtu.be/8HfvFHQ-j6s?si=jrWkqk6sNhlhkJbv


Film « Les lieux d’une fugue », 1978 sur Ubuweb : 

https://ubu.com/film/perec_fugue.html


Film « Récits d’Ellis Island » 1980, de Georges Perec & Robert Bober. En deux parties :

Traces : https://ubu.com/film/perec_traces.html

Mémoires : https://ubu.com/film/perec_memories.html


François Bon, « Quarante ans après sa mort, Georges Perec écrit encore » :  

https://youtu.be/uNErRGv4ImE?si=5o_IKEkgF_d9AGvm


Perec sur Ubuweb : https://ubu.com/film/perec.html


ELLIS – Short film by J.R. : 

https://youtu.be/CSSmeL67npU?si=labdc0o-n1DWZjRG


« Lieux » en version numérique : https://lieux-georges-perec.seuil.com



 

Perec - La vie mode d'emploi


Perec - Oeuvres I
Perec - Oeuvres II




 

samedi 12 avril 2025

Espace Perec 2025 (J.L. Bailly)

Espace Perec 2025 (J.L. Bailly)


Jean-Louis Bailly ne nous cache pas son âge car son livre évoque le fait qu'il a pu croiser la route de Georges Perec, qu’il a été son contemporain et que son année de naissance est le chiffre fétiche de la collection "Dire son Perec".


Mais il fait vite un pas de côté pour ne pas réduire son texte au recueil de souvenirs : il nous fait sentir le temps qui passe, les lambeaux d'une époque, en évoquant l'univers matériel et mental dans lequel évoluait Perec, qui a été aussi le sien, le temps du timbre à un franc.


Pour cela, il se réinvente en narrateur qui se présente en jeune homme en utilisant la deuxième personne du singulier, comme l'avait fait Perec dans "Un homme qui dort", pour nous raconter comment, alors qu'il avait créé une revue littéraire, il avait écrit à Perec pour lui demander un texte (on s'écrivait encore des lettres à ce moment-là).


Il nous fait ainsi partager la vie d'un jeune aventurier littéraire dont il dit qu'il était inexpérimenté, naïf et outrecuidant, et nous raconte ses mésaventures de jeune directeur de la revue Nouvelles impressions (Oui, Raymond Roussel n'est pas loin).


La lettre reçue de Perec le 7 octobre 1977 à la levée de 19 heures est donc le document central de ce petit livre, proposé en fac-similé page 15. Bailly recevra quelques temps plus tard pour sa revue le cadeau de Perec, un extrait de l'ouvrage qu'il est en train d'écrire : "La Vie mode d'emploi".


Le texte en question est évoqué dans son devenir, c'est-à-dire les corrections et variations observées dans les éditions futures, ce qui permet à Bailly d'évoquer l'ennemi des éditeurs, la coquille, "la Coquille éternelle, qui depuis l'incunable poursuit le typographe de son absurde et implacable malignité…" et nous dire quelque chose du métier d’éditeur ou de directeur de revue.


Dans un autre décalage temporel, Jean-Louis Bailly évoque la fameuse machine à écrire de Perec, une IBM Selectric électrique à boule, qui a rendu l'âme avec l'écriture de "La Vie mode d'emploi". Cela permet encore une fois à l'auteur de décrire l'univers matériel et mental de l'époque de Perec.
 

Pour terminer, l'auteur nous offre une belle nouvelle très perecquienne évoquant "La disparition", et nous parle de sa "Chanson du Mal-Aimant", le "plus long lipogramme versifié en langue française" : c'est l'occasion pour Bailly de rappeler que Perec écrivait pour dire le manque, l'absence sur laquelle il construisait sa vie ; il évoque aussi son expérience d'écriture de lipogrammes ce qui lui permet de parler du plaisir de l'écriture, d'en préciser la technique et d'imaginer ce qu'a pu éprouver Perec en écrivant.


À son tour, Jean-Louis Bailly écrit sur le manque, l'absence : l'adresse finale nous confirme bien, de manière émouvante, qu'il s'agit du manque, de l'absence de Perec.

 

Ce livre est ne N°10 sur 53 de la collection "Dire son Perec" des éditions L’Oeil ébloui.

 

Jean-Louis Bailly 2025